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trop de fidélité à ses détestables principes. Autour de lui, la révolte éclate de toutes parts, et la saine nature humaine, longtemps humiliée, prend sa revanche sur sa morale perverse. George de Sorel allait devenir son gendre; mais le vieux caissier de la maison, que la contrainte d’un silence trop prolongé opprime comme un remords, révèle au jeune homme toutes les circonstances de la ruine de son père. Son dévoué Saladin, qui a travaillé de toute l’ardeur de son âme à son élection, découvre qu’il a été la dupe d’une fausse générosité et lui jette ses bienfaits au visage. Sa femme, lasse d’une position fausse et humiliante qu’il vient encore d’aggraver en introduisant cyniquement une maîtresse sous le toit conjugal, le somme une dernière fois de la faire cesser. Sur son refus, elle prend le parti de quitter la maison, et ses enfans, pressés de choisir entre un père coupable et une mère malheureuse, suivent cette dernière dans sa retraite. En un instant, Montjoye se trouve abandonné de tous; mais tant de coups, dont un seul suffirait pour abattre un autre homme, ne peuvent pas même ébranler son absurde énergie; il se redresse et trouve un mot qui fait frémir, et que personne n’a jamais dit avant lui : « Allons, tout cela n’est rien, soyons homme! » Ainsi ce qu’il appelle être homme, c’est être précisément tout le contraire d’un homme. Si un sonnet sans défauts vaut tout un poème, ce mot, à lui seul, vaut tout un drame, car il résume admirablement le caractère de Montjoye, et il termine de la manière la plus heureuse le troisième acte, le plus émouvant et le plus dramatique de tous.

Nous n’aurions que des éloges à donner à ce drame, si M. Feuillet, cédant, dit-on, aux instances d’un comédien distingué, n’avait pas compromis la portée morale de son œuvre par un dénoûment sentimental qui nous paraît ici un contre-sens. La pièce devait se terminer au quatrième acte, lorsque Montjoye, après avoir blessé en duel George de Sorel, est obligé de fuir devant sa fille, afin de ne pas la tuer par sa présence. Cela choque et fait mal vraiment de le voir au dernier acte redevenu bon père, bon époux et ouvert à tous les généreux sentimens. Montjoye ne doit pas pouvoir se convertir aux bons sentimens de la nature humaine; pour l’honneur de la morale, il doit rester ce qu’il est. Cependant, si ce dénoûment artificiel est absolument nécessaire à la représentation, — ce que nous ne croyons pas, — nous émettons le vœu que M. Feuillet le retranche dans la pièce imprimée. Le drame finit si bien avec la fuite précipitée de Montjoye devant la douleur de sa fille! Le bon sens, la morale et le sentiment poétique sont d’accord pour demander que le spectateur se retire sous l’impression du châtiment du personnage principal.

Si nous, voulions faire usage maintenant du microscope critique, nous aurions bien quelques petits reproches à faire à M. Feuillet.