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sera contrainte par une nécessité prochaine et impérieuse. — Cependant, après la vigueur avec laquelle la gravité des questions européennes a été dénoncée dans le discours impérial, il nous paraît bien peu probable que cette politique d’abstention rechignée soit choisie par notre gouvernement. D’ailleurs, si elle en était réduite à une telle politique, la France s’y rangerait avec un sentiment de dépit. Or avec une France isolée et mécontente il n’y a de sécurité pour personne en Europe; une France froissée dans ses affaires étrangères cherche avec chagrin des compensations dans sa vie publique intérieure. Cette troisième politique ne tarderait pas à se confondre avec la seconde : elle ne serait que l’acceptation temporaire d’une situation critique; bien loin d’en conjurer les embarras menaçans, elle ne réussirait pas, grâce à la promptitude logique de l’esprit français, à les dissimuler un seul jour.

Quoi qu’il en soit, et quelque parti que prenne la politique française, l’effet d’étonnement. produit par la surprise du congrès et par le refus immédiat et catégorique de l’Angleterre, la réunion de nos chambres, l’incident de la question dano-allemande, la saison enfin, tout se réunit pour nous imposer un temps d’arrêt. Nous voudrions au moins que ce temps d’arrêt ne fût pas compromis par des fautes nouvelles. Une de ces fautes serait de répondre par de trop violentes manifestations de dépit au refus de l’Angleterre. Nous passons, à l’égard de l’Angleterre, par des phases de sentimens et de démarches en vérité trop contradictoires. Nous sommes toujours à réclamer de l’Angleterre qu’elle veuille bien nous prêter son concours, agir en commun avec nous, et quand elle ne cède pas à nos pressantes instances, nous nous récrions contre ses mauvais procédés, et nous accusons son égoïsme. Il serait plus juste et plus digne de s’efforcer de mieux comprendre le caractère de l’Angleterre, de se rendre compte des traditions et des nécessités de sa politique, de reconnaître les profondes différences qui existent entre le peuple anglais et notre nation. Nous commettons la plus grosse erreur du monde quand nous avons la prétention d’engager les Anglais de compagnie avec nous dans les affaires du continent européen. Les affaires du continent sont bien loin d’offrir aux Anglais l’intérêt qu’elles nous inspirent. Les Anglais n’ont point de frontières, ils ne sont pas une race militaire et belliqueuse, ils ne sont point propagandistes. Rien n’est plus déraisonnable que de vouloir imposer à un peuple les qualités et les défauts qu’il n’a pas, que sa nature et son histoire ne lui permettent pas d’avoir. Quand on connaît le passé de ce peuple, on sait qu’il y a toujours eu au moins une moitié de l’Angleterre politique qui a reproché, comme un crime, aux ministres anglais, de l’avoir liée aux affaires du continent. Quand on connaît l’Angleterre contemporaine, quand on s’est mêlé quelquefois à la vie active de cette Cité de Londres qui exerce une si grande influence sur la politique anglaise, on sait que ce qui se passe sur notre terre ferme d’Europe touche presque toujours de moins près et moins vivement les Anglais que les affaires d’Amérique, de l’Inde, de la