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prouvent assez que la source des hautes inspirations ne s’est pas tarie, que la vie d’un art supérieur au métier ne s’est pas éteinte dans notre école. Les applaudissemens de la foule ne récompensent pas toujours, il est vrai, des travaux de cette sorte. Ceux qui les ont accomplis doivent le plus souvent se contenter des suffrages de quelques bons juges, de l’estime discrète des experts et des esprits studieux, tandis que les faveurs et les bruyans éloges s’adressent en général beaucoup plus bas et se détournent, en matière de peinture comme ailleurs, des poèmes pour aller aux vaudevilles. Il y a là une injustice sans doute, mais qu’y faire et qu’importe après tout ? Bien malavisé serait l’artiste qui consulterait de trop près ces signes du temps, et qui sacrifierait à la recherche d’une popularité éphémère la confiance dans l’avenir et dans les droits de son propre talent. Le succès n’est pas tout en pareil cas, du moins le succès immédiat, accaparé du jour au lendemain, et par cela même sujet à révision. Les modes passent, les œuvres restent, et quand celles-ci portent, comme les nouvelles peintures de Saint-Roch, l’empreinte d’une habileté consciencieuse, d’une pensée étrangère aux petites préoccupations de l’heure présente et aux petites ambitions de parti, le moment vient tôt ou tard où la justice se fait pour elles, où elles héritent en quelque sorte de l’attention qui s’était égarée sur des objets plus futiles, plus séduisans en apparence et d’abord mieux recommandés. Qui sait s’il n’en sera pas de la coupole peinte par M. Roger comme de la coupole peinte autrefois par Bertholet Flemael, et si, lorsqu’on aura oublié bon nombre de tableaux contemporains aussi complètement que nous avons oublié nous-mêmes tant d’œuvres secondaires appartenant au XVIIe siècle, quelqu’un ne se rencontrera pas un jour pour penser et pour dire des peintures de Saint-Roch ce que nous disions tout à l’heure des peintures de l’église des Carmes et de l’estime qu’elles méritent ? C’est, en attendant, le devoir de la critique d’avertir sur ce point l’opinion et de lui proposer au moins l’examen de ce qu’il serait juste dès à présent de regarder. Elle a ce devoir surtout, — et c’est le cas ici, — lorsqu’il ne s’agit pas seulement d’une œuvre bonne en soi, mais d’un genre de travail dont les caractères particuliers intéressent l’histoire de notre art national, et qui, se rattachant au passé par les comparaisons qu’il suscite, tend à remettre en mémoire les lois de l’art lui-même, les modèles qu’il convient de suivre et les exemples qu’il faut éviter.


HENRI DELABORDE.