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temporaires, nécessaires dans les états libres après une époque d’anarchie, qui suspendent la liberté, mais ne l’anéantissent pas ? S’agissait-il de recommencer Marius et Sylla, auxquels la république avait survécu ? À la rigueur, on pouvait le croire, et rien n’empêche de supposer que plusieurs des officiers de César, ceux surtout qui, détrompés plus tard, conspirèrent contre lui, ne l’aient alors pensé.

Mais après Pharsale il n’y avait plus moyen de conserver cette illusion. Ce n’était pas un pouvoir d’exception que César demandait, c’était un gouvernement nouveau qu’il prétendait fonder. Ne lui avait-on pas entendu dire que la république était un mot vide de sens, et que Sylla n’était qu’un sot d’avoir abdiqué la dictature ? Loin de prendre aucun de ces ménagemens qu’employa plus tard Auguste pour dissimuler l’étendue de son autorité ; il semblait l’étaler avec complaisance, et sans se soucier des ennemis que sa franchise pouvait lui faire. Au contraire, par une sorte de scepticisme ironique et d’impertinence hardie qui sentait son grand seigneur, il aimait à choquer les partisans fanatiques des anciens usages. Il souriait de voir pontifes et augures effarés quand il osait nier les dieux en plein sénat, et c’était son amusement de déconcerter ces vieillards formalistes, gardiens superstitieux des anciennes pratiques. De plus, comme il était homme de plaisir avant tout, il n’aimait pas seulement le pouvoir pour l’exercer, mais pour en jouir ; il ne se contentait pas du solide de l’autorité souveraine, il en voulait aussi les dehors, l’éclat qui l’entoure, les hommages qu’elle exige, la pompe qui la relève, et même le nom qui la désigne. Ce titre de roi qu’il souhaitait avec ardeur, il n’ignorait pas à quel point il était odieux aux Romains ; mais sa hardiesse se faisait un plaisir de braver de vieux préjugés, en même temps que sa franchise trouvait sans doute plus loyal de donner au pouvoir qu’il exerçait son nom véritable. Cette conduite de César eut pour résultat de dissiper toutes les obscurités. Grâce à elle, il n’y avait plus d’illusion ni de malentendu possibles. La question se trouvait posée, non pas entre deux ambitions rivales, comme au temps de Pharsale, mais entre deux gouvernemens contraires. Les opinions, comme il arrive, se précisèrent l’une par l’autre, et la prétention, qu’avouait hautement César, de fonder une monarchie amena la création d’un grand parti républicain.

Comment, dans ce parti, les plus hardis, les plus violens eurent-ils l’idée de s’unir et de s’organiser ? De quelle manière arriva-t-on, de confidence en confidence, à former un complot contre la vie du dictateur ? C’est ce qu’il est impossible de bien savoir. Il semble seulement que la première idée du complot ait été conçue à la fois dans deux camps tout à fait opposés, parmi les vaincus de Pharsale, et, ce qui