Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Weber vient de mourir à Londres, où il était allé faire représenter Oberon, son dernier chef-d’œuvre.

— Quelle perte pour l’Allemagne ! et pour vous-même, chevalier !… car vous l’avez connu.

— Oui, comtesse, pendant mon séjour à Dresde. Il dirigeait alors la musique du roi de Saxe et conduisait l’orchestre du théâtre royal avec un talent que peu de compositeurs possèdent à ce degré.. C’était un homme d’un esprit cultivé, qui savait plus que la musique, où il était pourtant un maître. Sa carrière ne fut pas facile, il eut beaucoup à lutter, et ce n’est qu’à partir du Freyschütz que son nom devint populaire.

— De quoi est-il mort ?

— D’une laryngite, je crois. Son corps amaigrisses épaules voûtées, son cou long et mince qui portait avec fierté une tête remplie d’intelligence, tout cela annonçait une nature délicate qui avait beaucoup lutté avec la vie. Weber écrivait facilement sa langue maternelle, il parlait aussi l’italien et le français ; en dernier lieu, il avait appris suffisamment la langue anglaise pour s’y exprimer avec une certaine aisance. Il fut l’ami du roi de Saxe Frédéric-Auguste. Il y avait dans le caractère de Weber ce qu’on remarquait dans son esprit : de l’élévation et beaucoup de simplicité, une grande fierté vis-à-vis des grands et une bonhomie extrême avec les artistes et tous ceux qui dépendaient de lui. Il était affectueux et paternel pour les jeunes gens qui avaient besoin d’appui et de bons conseils. Accusé quelquefois d’injustice et de partialité par des hommes jaloux de sa renommée, Weber ne se contentait pas de garder le silence sur ces menées de la médiocrité ; il répondait avec calme et se justifiait dans une langue pleine de mesure et d’urbanité. Élève de Vogler, il conserva pour son maître un pieux et tendre .souvenir, et ne rompit jamais avec aucun des condisciples qui avaient reçu comme lui les leçons du savant abbé à Darmstadt et à Manheim ; mais, comtesse, ajouta le chevalier en déployant le journal qu’il avait à la main, voulez-vous que je vous lise quelques passages des lettres que Weber a adressées à sa famille pendant son court séjour en Angleterre ? L’âme du poète et du grand musicien s’y révèle dans toute sa sincérité.

— Bien volontiers, chevalier, car je ne connais presque rien de la vie de cet homme illustre qui nous a fait tant de bien.

— Weber, reprit Lorenzo, laisse sa famille presque sans fortune, une femme et deux enfans qu’il aimait tendrement, et qui furent l’objet constant de ses préoccupations. Voici un passage d’une lettre qu’il adressait à sa femme en traversant Paris : « Quel beau spectacle que le Grand-Opéra de Paris ! La grandeur de la salle, les