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l’antiquité, d’imitation de l’art étranger et de sentimentalité bourgeoise, il faut signaler le temple d’Apollon, placé sur un rocher de quinze pieds de haut, soutenu par douze colonnes de style ionien, où l’on voit le dieu du jour et de l’harmonie debout, tenant une lyre dont il effleure les cordes de la main gauche, comme pour prouver que rien n’est impossible à un dieu. Sur la pente du rocher où Apollon module ses divins accords, deux naïades versent de leur urne une eau limpide et abondante qui tombe de cascade en cascade dans un large bassin autour duquel se mirent six sphinx en marbre, qui représentent les six plus belles femmes de la cour de Charles-Théodore. L’une de ces femmes est la belle Vénitienne qui fut la grand’mère de Mme de Narbal. Rien n’est plus frais, plus ombreux et plus propre à éveiller dans l’âme une douce rêverie que ce lieu charmant, où le chevalier allait souvent lire ses poètes favoris. Mais la partie la plus intéressante de ce beau jardin de Schwetzingen, qui renferme tant de merveilles, c’est le grand lac qui en occupe le fond, et que dérobent à la vue de magnifiques ombrages. Préservé par ces masses d’arbres vigoureux contre la violence des vents orageux et l’extrême chaleur, le lac est de toutes parts enveloppé par un taillis d’arbustes et de plantes rares qui parfument l’air de leurs émanations. Des détours ingénieux, de petits chemins perdus dans la verdure, des bosquets garnis de bancs, asiles mystérieux de quelque divinité propice aux doux épanchemens, des méandres qui ouvrent à l’imagination des points de vue inattendus, tous ces artifices d’un art délicat forment autour du lac un cadre ravissant, un délicieux paysage où le promeneur peut errer librement et se croire dans une complète solitude.

Culte pianure o delicati colli,
Chiare acque, ombrose ripe e prati molli.
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E tra què rami con sicuri voli,
Cantando se ne giano i rossignuoli.

Le jardin et le château de Schwetzingen, dus à la munificence de Charles-Théodore, et résidence favorite de l’électeur pendant l’été, ont fait l’admiration de l’Allemagne dans les dernières années du XVIIIe siècle. Des fêtes magnifiques y attiraient plusieurs fois dans l’année une foule d’étrangers et de curieux. Le théâtre, composé de deux rangs de loges, sans y comprendre celles du rez-de-chaussée, pouvait admettre des chevaux sur la scène, et le fond s’ouvrait au besoin sur une vue du parc qui concourait à l’illusion dramatique. Les représentations du théâtre de Schwetzingen étaient libéralement offertes par le prince-électeur à des invités de choix.