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dernières années du XVIIIe siècle. En 1840, une représentation extraordinaire y fut donnée pour célébrer le mariage de je ne sais plus quel prince de la maison de Bade. Mme de Narbal était trop jeune pour avoir pu assister aux belles représentations qui se donnaient sur le théâtre de Schwetzingen pendant le règne de Charles-Théodore. Parmi les amis et les convives de la comtesse, il n’y avait guère que le conseiller de Loewenfeld et M. Rauch qui pouvaient parler de ces temps bienheureux où la résidence de Schwetzingen était le siège d’une cour brillante et le rendez-vous des plus grandes illustrations de l’Allemagne. — La dernière fois que l’électeur Charles-Théodore est venu visiter ce beau séjour qu’a créé sa munificence, dit M. de Loewenfeld, c’est en 1790. La révolution française grondait déjà sur la rive gauche du grand fleuve allemand, et menaçait de bouleverser ce délicieux pays et ces principautés paisibles, qui ne se doutaient pas de tous les malheurs dont elles seraient bientôt accablées. J’ai vu ce prince généreux verser des larmes de regret d’être obligé de quitter une résidence qui lui avait coûté des sommes fabuleuses, et où il avait passé les plus beaux jours de sa vie ; mais la politique voulait qu’il retournât à Munich, dont le trône lui était échu en 1779, et qu’il sacrifiât son bonheur à la grandeur de sa maison.

Lorsque la société qui accompagnait Mme de Narbal fut arrivée sur la scène du théâtre, en montant un escalier étroit dont les marches vacillantes indiquaient les ravages du temps et l’abandon : — Ah ! s’écria M. Rauch en plongeant le regard dans l’ombre épaisse qui remplissait la salle, quelles soirées brillantes se sont passées ici ! Ces loges maintenant désertes, je les ai vues garnies d’une société d’élite qui applaudissait avec transport les chefs-d’œuvre et les interprètes de l’art allemand. L’orchestre, dirigé par Holzbauer, était l’un des meilleurs de l’Europe, et des cantatrices comme Dorothea Wendling, sa sœur Elisabeth, Francesca Danzi et Mme Cramer auraient pu rivaliser avec les plus habiles virtuoses de l’Italie.

— Parbleu ! je le crois bien, répliqua M. Thibaut, elles avaient appris à chanter des maîtres italiens qu’on a vus se presser à la cour de Charles-Théodore jusque vers l’année 1760. N’oubliez pas que l’opéra italien et la comédie française ont été joués sur la scène de Manheim et de Schwetzingen bien avant qu’il ne fût question d’un théâtre et d’un opéra allemands. Le fameux ténor Raaff, pour qui Mozart a écrit le rôle d’Idoménée, était un élève de l’école italienne, aussi bien que la Marra, la Mingotti, et de nos jours Mlle Sontag. Les essais de musique dramatique de Holzbauer, les petits opéras de Hiller, de Dittersdorf, de Reichardt et de beaucoup d’autres