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siège de Tours, en France, et tinrent d’une main ferme à Boulogne l’étendard de Saint-George. Tournay et les villes de France que le roi Henry sut noblement conquérir redisent encore leurs prouesses. » Certes voilà de quoi racheter des actes de turbulence comme ces héros de la Cité s’en permettaient souvent, car il y avait le bon et le mauvais apprenti, comme Hogarth nous l’a si bien montré, et, si la muse populaire redisait les vertus du premier, elle était quelquefois forcée d’enregistrer les méfaits du second. Tel était ce George Barnwell qui vola son maître et tua son oncle, et dont la complainte fournit à Lillo le sujet d’un drame imité chez nous par Saurin.

Mais tout cela est du passé. Les chemins de fer font disparaître, avec la distance, les différences de mœurs entre les campagnes et les villes. Dans les premières, les progrès même de l’agriculture, auxquels il faut ajouter ceux des charges publiques, en demandant au paysan une somme de travail plus considérable, ne laissent guère de place aux danses ni aux chants joyeux du soir ; quant aux récréations du dimanche, la pruderie anglicane y a depuis longtemps mis bon ordre. Dans les villes, le time is money règne encore plus despotiquement, et la chanson, pour qui jadis la fuite du temps n’était qu’un encouragement au plaisir, en est réduite à marquer le retour du travail, comme le cadran d’une manufacture :


« Par ce verre qui circule gaîment, nous pouvons voir comment passent les minutes. Ce tonneau vide nous dit que la nuit est avancée. Bientôt le jour affairé va nous arracher à nos divertissemens. Enfans du souci, le jour est fait pour vous. »


La chanson populaire suivra-t-elle la société moderne dans ses transformations ? Née du loisir et de l’insouciance, s’accommodera-t-elle de notre vie anxieuse et incessamment préoccupée des intérêts matériels ? Le café-concert sera-t-il son dernier mot, ou plutôt ne trouvera-t-elle pas des formes nouvelles pour répondre à de nouveaux besoins ? En chanson comme en politique, il y a la bonne et la mauvaise popularité. Si l’on jugeait le goût littéraire et le sens moral d’une nation par les refrains qui courent les rues à un moment donné, on s’exposerait à être sévère, disons mieux, injuste. L’idéal trouvera sa voie, même à travers le réseau des railways et la fumée des usines. En attendant, parlons toujours au peuple un langage digne de lui, et, si nous voulons qu’il ait une poésie, sachons la lui montrer quelquefois, non telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être.

Nous avons cherché par exemple si les mœurs électorales, déjà anciennes en Angleterre, avaient donné lieu à quelque production