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donne à tous le repos, je pense à celui qui est au loin, et je pleure tant que la nuit est longue. »

Les tentatives jacobites du XVIIIe siècle, dont nous avons suivi en Angleterre les péripéties poétiques et l’issue fatale, eurent aussi leur retentissement sur cette terre d’Érin, vouée, comme l’Ecosse, aux nobles et stériles dévouemens. Les Irlandais accompagnèrent de leurs vœux le prétendant, et une chanson allégorique composée en son honneur, l’Oiseau noir royal, figure encore au nombre des refrains proscrits que le paysan aime à répéter. Les troubles de 1760 avaient leur source dans des conflits agraires, mais ils se rattachaient à de certains mots d’ordre politiques. Ainsi les white-boys avaient coutume de marcher la nuit en chantant sur des airs jacobites : « Nous sommes les enfans sans peur qui allons de nuit avec la cocarde blanche. » Un recueil anglais[1], qui donne de curieux détails sur ces manifestations demi-socialistes, demi-politiques de l’Irlande, n’a pas de peine à démontrer qu’il y avait peu de logique dans ces appels désespérés à des points d’appui si divers. « On s’adressait aux Stuarts, dit la Revue de Westminster, comme à des amis de l’indépendance irlandaise ; or aucune dynastie ne lui fut plus hostile. On comptait sur les républicains français pour restaurer la vieille aristocratie irlandaise. Plus tard Napoléon était invoqué comme le champion des libertés de l’Irlande, et notre gracieuse reine est associée aux honneurs rendus à O’Connell. » Ajoutons qu’en 1798 les Irlandais se servaient d’un symbole monarchique pour désigner la France républicaine, et donnaient un caractère religieux à une guerre où leurs alliés étaient des infidèles. Ainsi l’on chantait : « Nous arborerons la harpe et la fleur de lis, et nous réduirons en poussière nos tyrans hérétiques[2]. » Du reste, c’est une grande erreur, assure-t-on en Angleterre, de supposer que les républicains français étaient populaires dans le sud de l’Irlande. « Napoléon au contraire, dit l’auteur de l’article, avait toutes les sympathies (was an universal favourite). Encore aujourd’hui le paysan irlandais ne parle de lui qu’avec l’expression du regret, et son exil à Sainte-Hélène fut déploré dans des centaines de ballades dont la popularité n’est pas encore épuisée. Par une de ces allégories qui leur sont familières, les poètes irlandais l’ont personnifié dans une chanson intitulée le Verdier (Green Linnet), qui fait pendant au Royal black bird. Quelque bizarre que puisse paraître cette association du nom de Napoléon à celui du prétendant, il est à

  1. Westminster Review, vol. XXXIII. Illustrations of the Whiteboyism.
  2. T. Crofton Croker, Popular songs illustrative of the French invasions of England. London 1847, in-8o.