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milieu légendaire et fantastique qui l’entoure, ou bien, mêlée au monde réel (car c’est une des singularités de la race anglo-saxonne que d’allier le goût du surnaturel à un esprit très positif), refléter l’existence laborieuse des campagnes, la vie active et affairée des villes. Nous y avons saisi encore d’autres différences : là où l’Italien se contente d’un sentiment vague, d’un simple prétexte pour le chant, l’Anglais veut se prendre à des sentimens précis comme les affections domestiques, à des intérêts matériels, à des faits réels, ou tout au moins à des récits même imaginaires. Voilà pourquoi nous avons vu les chants historiques et les ballades tenir une grande place dans la littérature dont nous avions à signaler les principales manifestations. D’ailleurs, plus heureuse que l’Italie, l’Angleterre a de bonne heure conquis sa nationalité ; elle a pu chanter les événemens de son histoire, tandis que la péninsule fut longtemps réduite à des aspirations vers l’indépendance et l’unité qui la fuyaient toujours.

Le caractère national ne pouvait manquer de laisser aussi sa trace dans les chants populaires : là une bonhomie qui va jusqu’au laisser-aller et quelquefois jusqu’à l’oblitération du sens moral ; ici le sentiment de la dignité individuelle poussé jusqu’à la raideur et à l’insociabilité. En passant du midi au nord, l’imagination devient aisément de la fantaisie, la gaîté n’est plus que de l’humour. Enfin les différences provinciales, trop longtemps persistantes en Italie, ne sont pour la Grande-Bretagne qu’une exception, surtout sensible en Écosse et en Irlande, pays de race distincte. Cependant l’histoire de la chanson populaire chez les deux peuples lié se borne pas à confirmer certaines données générales ; elle nous permet encore de saisir quelques particularités intimes, trop souvent omises ou dédaignées. De même que nous avons pu signaler chez la muse populaire italienne quelques accens mâles et patriotiques qu’on n’attendait pas d’elle, des recherches analogues consacrées à la chanson anglaise nous ont révélé, chez cette race anglo-saxonne si dure, si impénétrable en apparence, une veiné d’émotion contenue et des élans sympathiques qui modifient, en les complétant, les idées admises jusqu’à ce jour sur la littérature et le caractère des populations britannique.


E.-J.-B. RATHERY.