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des formes et de l’abstraction, demande plus de temps encore ; il faut lutter contre des difficultés manuelles, apprendre comment se domptent les matières les plus rebelles. Rude, qui a fait le plus beau bas-relief de notre siècle, Perraud, qui a exécuté la statue la plus puissante, le Faune, n’ont eu le prix qu’à vingt-huit ans. Quant à l’architecture, elle exige des connaissances si nombreuses, des études si variées, une éducation si complète, qu’on peut affirmer qu’il n’y a point d’architecte avant trente ans. N’est-il pas d’ailleurs désirable qu’avant de s’adonner exclusivement à l’art, les élèves aient fini leur éducation littéraire, qu’ils aient fait leurs classes quand leur famille le leur permet et quand l’état leur en donne les moyens ? La culture de l’intelligence n’est-elle pas aujourd’hui la première loi de toutes les professions ? Soyez certains que vous verrez se produire deux résultats également funestes : l’abandon des études classiques par les artistes, l’affaiblissement proportionnel de leurs études techniques. Les cinq années que vous leur retranchez, c’était le temps le plus précieux, le mieux employé de leur jeunesse, c’était le délai nécessaire pour acquérir successivement les connaissances diverses que leur impose notre civilisation. S’ils entraient plus tard dans la vie active, ils y entraient armés de toutes pièces, éprouvés, sûrs de vaincre.

Lorsqu’on a fait sur les registres de l’École des Beaux-Arts le relevé des élèves qui avaient dépassé leur vingt-cinquième année ou qui allaient l’atteindre, on a été effrayé du nombre des exclus. Sur cent vingt élèves de première classe, peintres et sculpteurs, près de cent devaient renoncer à concourir en 1865 pour le grand prix de Rome ; sur soixante-sept élèves architectes de première classe, neuf seulement pouvaient se présenter dans la lice en 1864. L’administration a reculé devant une rigueur rétroactive qui bannissait l’élite de la jeunesse, et laissait tomber les prix de Rome dans des mains qui n’étaient point prêtes pour les saisir. Une mesure d’humanité proroge jusqu’en 1867 l’application du nouveau système. Le mal, hélas ! n’est que différé : on constatera en 1867 l’abaissement subit du niveau des concours.

Il est une autre considération, d’un ordre tout à fait général, à laquelle il semble qu’on n’ait point égard. Les grands prix de Rome ne sont pas le privilège de l’École des Beaux-Arts de Paris : ce sont des prix nationaux, fondés par l’état, confiés à l’Institut, proposés à la France entière. Tout Français a le droit de concourir, et la province fournit à l’École de Rome un contingent qui égale celui de Paris, s’il ne le surpasse. Les conseils municipaux ou les conseils-généraux s’imposent pour envoyer les élèves les plus distingués des écoles départementales se fortifier dans les ateliers de Paris, se pénétrer des