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les dangers qu’il courait, étaient venus des municipes voisins pour le défendre, il les avait renvoyés. Il aimait mieux se tenir renfermé dans sa maison que de donner aucun prétexte de commencer les violences. Forcé de quitter Rome, il resta caché quelque temps encore dans les jardins du voisinage, inquiété par les soldats, ne sortant que de nuit, mais attendant toujours ce grand mouvement populaire qu’il s’obstinait à espérer. Personne ne remua. Il s’éloigna encore davantage et alla se réfugier dans ses villas de Lanuvium et d’Antium. De là il entendait les bruits de guerre dont retentissait l’Italie, et il voyait tous les partis se préparer à combattre. Seul il résistait toujours. Il a passé six mois entiers à reculer devant cette nécessité terrible qui devenait tous les jours plus inévitable. Il ne pouvait se résoudre à l’accepter et prenait l’avis de tout le monde. Cicéron raconte même, dans ses lettres, une sorte de conseil qui se tint à Antium pour savoir ce qu’il convenait de faire. Servilie y assistait avec Porcia, Brutus avec Cassius, et on y avait appelé quelques-uns des amis les plus fidèles, parmi lesquels Favonius et Cicéron. Servilie, plus soucieuse de la sûreté que de l’honneur de son fils, voulait qu’il s’éloignât. Elle avait obtenu d’Antoine, qui était resté son ami, pour son fils et son gendre une légation, c’est-à-dire une commission pour aller chercher du blé en Sicile. C’était un prétexte spécieux et sûr pour quitter l’Italie; mais partir avec une permission signée d’Antoine, accepter un exil comme un bienfait, quelle honte ! Cassius ne voulait pas y consentir ; il parlait avec emportement, il s’indignait, il menaçait, « on aurait dit qu’il ne respirait que la guerre. » Brutus au contraire, calme, résigné, interrogeait ses amis, décidé à les satisfaire, même en risquant sa vie. Souhaitait-on qu’il retournât à Rome? Il était prêt à s’y rendre. À cette proposition, tout le monde se récriait. Rome était pleine de périls pour les conjurés, et l’on ne voulait pas exposer sans profit les dernières espérances de la liberté. Alors que faire? On ne s’entendait guère que pour regretter amèrement la conduite qu’on avait tenue. Cassius déplorait qu’on n’eût pas tué Antoine, comme il l’avait demandé, et Cicéron n’avait garde de le contredire. Malheureusement ces récriminations ne servaient de rien; il ne s’agissait pas de se plaindre du passé, le moment était venu de régler l’avenir, et l’on ne savait à quoi se résoudre.

Après cette conférence, Brutus ne se décida pas encore tout de suite. Il persista à rester tant qu’il le put dans sa villa de Lanuvium, lisant et discutant, sous ses beaux portiques, avec les philosophes grecs, sa société ordinaire. Cependant il fallut partir. L’Italie devenait de moins en moins sûre, les vétérans infestaient les routes et pillaient les maisons de campagne. Brutus alla rejoindre à Vélie quelques vaisseaux qui l’attendaient pour le conduire en Grèce. Il