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« — Pourquoi ce qui est fait ne pourrait-il se défaire ? reprit-elle après un silence.

« — Simplement parce que la vente est conclue, et que l’accord est constaté par écrit ; les acheteurs ont quitté Florence, et j’ai en main les billets qui garantissent le paiement du prix.

« — Si mon père avait soupçonné votre loyauté, dit Romola, dont le premier besoin semblait être d’épancher son amer dédain, il aurait mis ses collections bien en sûreté hors de vos atteintes ; mais la mort l’a surpris trop tôt, et une fois sûr que son oreille était sourde, sa main glacée, vous l’avez volé !…

« Elle s’arrêta un instant, et reprit ensuite plus emportée que jamais : — « Auriez-vous par hasard commis quelque autre vol ; et cette fois au préjudice d’un vivant ?… Est-ce pour cela que vous portez une armure ?…

« Romola s’était sentie poussée à prononcer ces paroles comme un homme le serait à cingler du fouet un visage hostile. Tout d’abord Tito se sentit en proie aux angoisses d’une horrible épouvante : ce déshonneur public, dont il s’était fait un fantôme redoutable, lui apparut pire encore qu’il ne l’avait jamais imaginé ; mais la réaction se fit bientôt. Tout ce qu’il y avait en lui de répulsion et de résistance commençait à se dresser contre une femme dont la voix semblait lui prédire un châtiment prochain. Ce n’était pas elle, à tout le moins, que son esprit alerte et prompt se trouverait hors d’état de dominer.

« — Il n’est point nécessaire, reprit-il avec une froideur marquée, de répondre à des paroles qui n’ont ni sens ni raison. Vous êtes en ce moment égarée par un sentiment filial que vous portez au-delà des limites ordinaires. Toute personne raisonnable, envisageant les choses à leur véritable point de vue, comprendra que j’ai pris le parti le plus sage. Dégagé de l’influence que vous avez pu exercer sur lui, messer Bernardo lui-même, j’en suis convaincu, serait de cette opinion.

« — Non certes, dit Romola, car il s’attend à voir exactement rempli le vœu de mon père… Hier encore il me le disait, et il ne me refusera point son appui… Quels sont ces hommes à qui vous avez vendu ce qui ne vous appartenait pas ?

« — Je n’ai aucune raison pour vous le cacher, bien que cela importe assez peu. Le comte de San-Severino et le sénéchal de Beaucaire sont déjà partis pour aller rejoindre à Sienne le roi de France.

« — On peut les rejoindre, on peut leur demander de rompre ce marché, dit Romola, chez qui l’inquiétude commençait à remplacer la colère.

« — Non, cela ne se peut, répliqua Tito avec une froide décision.

« — Pourquoi ?

« — Parce que je ne veux pas que le marché soit rompu.

« — Mais si vous n’y perdiez rien ?… Nous pourrions nous arranger pour que le prix du marché restât le même.

« Aucunes paroles n’auraient pu mettre au jour d’une manière plus nette le sentiment qui désormais la séparait de Tito ; mais celles-ci furent prononcées avec moins d’amertume que d’anxiété suppliante, et il se sentit