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secours au voisin. Le pievano[1] lui-même, oublieux de tous ses devoirs, n’apporte plus au chevet des mourans les bénédictions de l’église, et ne vient que çà et là, furtivement, constater la misérable condition du troupeau commis à sa garde. L’apparition de Romola sur cette plage désolée, cette barque mystérieuse d’où on la voit descendre seule, l’auréole lumineuse que lui font ses cheveux d’or la transforment aisément en une sorte de madone, et lui donnent aussitôt sur les superstitieux habitans de la vallée une autorité dont elle use uniquement pour leur salut. Elle trouve dans cette mission de charité que la Providence lui assigne le baume puissant dont ses blessures avaient besoin. Elle ne se console pas, elle oublie, et dans cet oubli bienfaisant retrempe ses forces épuisées. Le courage qu’elle prêche aux autres lui revient ; la sérénité qu’elle fait renaître autour d’elle lui est rendue par surcroît. Un grand apaisement s’est fait dans son âme quand elle retourne à Florence, quelques mois plus tard, comblée de bénédictions et vénérée à l’égal des saintes légendaires par tous ces malheureux qui l’ont vue déployer un dévouement surhumain.

Une fois informée de ce qui s’est passé en son absence, Romola s’empresse de restituer à l’état la plus grande partie des richesses suspectes que Tito a laissées derrière lui. De cette renonciation scrupuleuse, elle n’excepte qu’une somme équivalente au prix des collections paternelles vendues à son détriment et malgré sa volonté. Cette somme, elle la destine en secret aux enfans de Tessa et à Tessa elle-même, dont elle se constitue la protectrice en lui laissant provisoirement ignorer les motifs secrets de l’intérêt qu’elle lui témoigne. Tout en réglant ainsi sa vie, tout en se ménageant les devoirs et les joies d’une maternité factice, la jeune veuve suit d’un œil ému les sanglantes péripéties du procès de Savonarole. Elle n’est point de ces piagnoni timides que le réformateur a déçus en se laissant arracher par la torture quelques rétractations involontaires ; elle ne croit pas aux procès-verbaux falsifiés qui changeaient les termes et aggravaient la portée de ces humilians démentis. Sans connaître à fond les détails honteux du marché politique débattu entre la signoria de Florence, le pape et le duc de Milan, elle devine que fra Girolamo se débat en ce moment sous l’effort coalisé des ambitions mauvaises qu’il a voulu réfréner, des vices auxquels il a déclaré la guerre, de la tyrannie étrangère à laquelle il faisait obstacle, et d’un clergé corrompu qu’il prétendait ramener à ses vertus primitives. Au fond, pur de tout crime qualifiable et de toute hérésie dogmatique, le prieur de Saint-Marc n’avait à expier sur le

  1. Le curé de paroisse.