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maîtresse du territoire situé entre l’isthme qu’elle fermait et la côte orientale. Elle rencontra là devant elle Ampelos, Dragmos, Prœsos, Itanos, cités antérieures à l’invasion dorienne, qui devaient leur origine aux populations primitives de la Crète, les Étéocrétois ou vrais Crétois. Vers le second siècle avant notre ère, elle avait réussi à se subordonner toutes ces villes, et la chute de Prœsos, que les Hiérapytniens détruisirent après de longs et opiniâtres combats, les laissa sans rivaux dans cette région. Sous la domination romaine, cette ville resta maîtresse de tout ce territoire, et, à en juger d’après les débris de tout genre qui jonchent encore le sol et d’après les inscriptions qui nous sont parvenues, elle jouit d’une grande prospérité. Elle est aujourd’hui représentée, avec une légère altération de son nom antique, par le grand village d’Hierapetra, qui compte plus de quatre cents maisons entourées d’un mauvais mur d’enceinte. Ce qui est curieux, c’est que Hierapetra occupe en partie l’emplacement de l’ancien port, que les terres entraînées par les eaux ont peu à peu comblé ; on ne peut se défendre d’un certain étonnement en voyant se presser les maisons là où se balançaient autrefois les navires des Hiérapytniens. Tout artificiel, le port formait un vaste bassin circulaire dessiné par deux môles dont on peut retrouver à peu près partout les fondations. On aperçoit et on suit la trace de ces jetées d’abord dans la mer, qui en bat et en recouvre l’extrémité antérieure, puis dans le village même, à travers le mur, les maisons et les églises, dans la plaine enfin, où ils se prolongent bien au-delà des dernières habitations, et enclosent un sol bas et marécageux. Les restes de la cité antique se voient à quelque distance en arrière de la bourgade moderne, sur un terrain un peu plus élevé. On reconnaît des quais, un théâtre, un amphithéâtre même. Ce dernier monument mérite d’être remarqué. Ce n’est pas que les dimensions en soient considérables : il n’a que soixante pas de diamètre ; mais c’est que les amphithéâtres, à en juger du moins par les ruines encore subsistantes paraissent avoir été rares dans toutes les contrées où dominaient le goût et les traditions de la Grèce. Dans toute l’Asie-Mineure, je n’en connais que deux, ceux de Cyzique et de Pergame. Pour expliquer ici la présence d’un édifice destiné à donner aux Hiérapytniens le spectacle des combats de bêtes et de gladiateurs, spectacle cruel et grossier que repoussa toujours le génie grec, il faut supposer que le commerce d’Hierapytna avec l’Italie était assez actif pour y avoir amené un grand nombre de négocians italiens, des chevaliers romains, des affranchis élevés en Occident, qui ne pouvaient se passer des jeux du cirque, qui voulaient entendre rugir des panthères et voir couler du sang. C’est surtout pour distraire ces étrangers