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cation toujours réelle des vœux des populations n’est pas déjà bien usée depuis qu’on voit le vote arriver comme une sanction docile de faits accomplis antérieurement par la force militaire ? Enfin comment croire que l’annexion du Danemark au royaume Scandinave pût consoler les Danois de la perte d’une province dont ils se considèrent comme injustement dépouillés ? L’union du Danemark et de la Suède rencontrerait de la part de la Russie et peut-être de l’Angleterre une résistance insurmontable ; mais, sans insister sur les obstacles extérieurs qui s’opposeraient à cette union, comment ne voit-on pas que la fusion des Scandinaves, au lieu de pacifier le différend actuel, ne ferait qu’envenimer et prolonger une lutte de races ? Si les Danois se donnaient aux Scandinaves, la première condition du pacte serait évidemment que Danois et Scandinaves réunis s’élanceraient ensemble sur le Slesvig pour le reprendre à l’envahisseur allemand.

Est-ce à dire que la France doive assister dans une inaction résignée à l’agression oppressive que subit le Danemark, et qu’il n’y ait pour nous aucun moyen de réagir contre le désordre qui règne au nord de l’Europe ? Nous savons que le traité de 1852 ne crée point à la France l’obligation de défendre le Danemark par les armes, nous pensons aussi que dans l’état actuel de nos alliances nous commettrions une imprudence dangereuse, si pour des résultats incertains nous allions susciter contre nous les animosités égarées de l’Allemagne. Nous croyons cependant que l’intérêt français est blessé par ce qui se passe sur les bords de l’Eider, et que les échecs éprouvés par la diplomatie anglaise dans la question danoise ne guérissent point cette blessure. Le traité de 1852, qui devait donner au Danemark la sécurité, porte la signature de la France ; nous ne pouvons voir en aucun cas de sang-froid la signature de la France exposée à être frappée de nullité par une entreprise violente. La tradition de notre pays a toujours été de protéger sur le continent les états faibles ; sa considération ne peut grandir, si aujourd’hui le démembrement injuste d’un petit royaume peut impunément s’accomplir sous ses yeux. L’existence de la monarchie danoise a toujours compté parmi les intérêts de la France ; quand nous avons eu à soutenir contre l’Angleterre les droits des neutres et la liberté des mers, toujours nous avons eu à côté de nous la brave marine danoise. La fidélité du Danemark à la cause française lui a coûté en 1815 la Norvège ; la France du second empire ne pourrait assister sans émotion à une nouvelle décomposition de ce peuple énergique et honnête qui a souffert de nos malheurs. Quant aux échecs éprouvés par la diplomatie anglaise dans la question danoise, ils sont cruels sans doute, et nous ne dirons pas qu’ils sont immérités. On vient de voir où aboutit l’autorité diplomatique d’un grand peuple, lorsque le gouvernement de ce peuple pousse à l’excès le système pacifique, et compromet la paix par l’affectation avec laquelle il déclare à tout propos qu’il ne prêtera la force de ses armes à aucune dés causes dont il a lui-même proclamé la justice. Privé de l’alliance de