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être regardés comme les premiers artilleurs du monde. Reprendre aujourd’hui leurs traditions me paraîtrait aussi peu raisonnable que si, nous laissant encore influencer par tout ce que nous racontent les Américains au sujet de leurs bâtimens cuirassés, nous allions abandonner les magnifiques navires qui viennent de nous donner des résultats inespérés pour copier les monitors, qui ne tiennent pas la mer, les Weehawken, qui sombrent dans les eaux abritées des rades, les Keokuk, qui se font couler à 750 yards de distance par les boulets sphériques du général Beauregàrd, lequel refusait les pièces dites de 800 que l’on voulait lui envoyer de Richmond.

Pour compléter ce travail, il aurait fallu pouvoir comparer les résultats obtenus par nos bâtimens cuirasses avec ceux que la marine anglaise a obtenus sur les siens ; mais les élémens de cette comparaison n’existent pas. Le gouvernement anglais n’a publié à notre connaissance aucun rapport sur les deux croisières que le Warrior et ses pareils ont faites dans les mêmes parages que les nôtres. Toutes les fois qu’il a été interrogé sur ce sujet, le gouvernement a répondu que les rapports étaient très satisfaisans ; quant au reste, il a été d’une discrétion presque absolue. Nous ne pouvons donc établir une comparaison ; néanmoins, après ce que nous venons d’exposer, nous nous croyons autorisé à dire que notre marine ne doit redouter aucune comparaison, qu’elle marché dans une voie de progrès continu, que ses œuvres, en s’enrichissant incessamment de quelque mérite nouveau, en se développant, comme elles l’ont fait, de la Gloire au Solferino, conservent cependant une harmonie, une unité qui sont aussi des qualités très précieuses. Nous n’avons certainement pas atteint la perfection, mais il nous semble qu’il n’y a pas présomption à croire que, si l’on choisissait dans les flottes du monde entier ce qu’elles peuvent aujourd’hui offrir de meilleur, on n’y trouverait sans doute pas cinq navires cuirassés qui pussent faire tout ce qu’ont fait les cinq navires dont nous venons de parler, et surtout le faire avec un pareil ensemble. Toutefois, pour être juste, ajoutons qu’une bonne part de ce succès revient au mérite de l’amiral Penaud et des officiers qui étaient placés sous ses ordres. L’activité, le talent, la bonne volonté qui ont été déployés sont dignes de tous les éloges, et il est heureux que nous ayons trouvé de pareils hommes pour nous apprendre tout ce que valent les œuvres de nos ingénieurs.


XAVIER RAYMOND.