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L’ivrognerie était l’une des causes principales de l’humeur grossière et violente qui caractérisait alors les habitans de Londres. Vers 1736, les ravages physiques et moraux faits par l’abus du genièvre prirent un caractère si inquiétant que les chambres crurent devoir interdire la vente de cette boisson. La veille du jour où l’acte devait être mis en vigueur, les funérailles de la « mère genièvre » furent célébrées dans presque toutes les villes d’Angleterre par d’abondantes libations ; Le lendemain, les apothicaires, les charlatans et les marchands ambulans vendirent sous forme de médicament la liqueur qu’on ne pouvait plus débiter comme boisson. Quand les magistrats demandèrent à ceux qui éludaient ainsi la loi d’expliquer la séduction inusitée que leurs drogues exerçaient sur le public, les contrevenans répondirent avec flegme que le dernier bill, ayant beaucoup multiplié les indispositions, avait naturellement augmenté leur clientèle. En vain de grandes récompenses furent promises aux dénonciateurs. La foule jeta quelques délateurs à la rivière, et la passion des masses pour le genièvre n’eut pas grand’peine à paralyser le zèle du parlement pour l’amélioration des buveurs.

La religion elle-même semblait avoir perdu la vertu de lutter contre les progrès de l’immoralité. Il y avait dans les classes inférieures peu d’impiété affichée, mais encore moins de foi. Le peuple restait attaché à l’église anglicane par antipathie traditionnelle pour les puritains et les papistes ; il se soumettait aux observances ; le dimanche, il ne travaillait pas et allait assez régulièrement au sermon, mais au sortir du sermon il se rendait au cabaret et se livrait au désordre. Jamais le frein religieux n’avait été moins efficace en Angleterre. Sans manquer de décence, le clergé de l’église établie n’avait ni austérité ni ferveur ; les sectes dissidentes elles-mêmes s’étaient fort attiédies depuis qu’elles n’avaient plus à lutter pour le libre exercice de leur culte. Les catholiques étaient opprimés, silencieux et timides ; les incrédules s’attaquaient hardiment aux bases du christianisme et trouvaient secrètement faveur auprès des gens d’esprit malgré les habiles réfutations de savans, mais froids théologiens ; les indifférens sans principes abondaient dans toutes les classes. Dans toutes les classes aussi, on trouvait sans doute de dignes représentans des bonnes traditions morales et religieuses ; mais ils restaient sur la défensive, ils ne se sentaient pas encore animés de cette humeur conquérante qui fait les vrais réformateurs. La réaction licencieuse contre le puritanisme qui s’était produite après la restauration tirait à sa fin ; la réaction méthodiste contre l’impiété et l’immoralité, qui devait se produire sous George II, n’avait pas commencé. Lorsque Voltaire visita l’Angleterre en 1726,