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de ces institutions, c’est de s’appliquer à la conduite des affaires, de prendre par conséquent et d’expédier les affaires comme elles se présentent et à leur date pratique, de ne pas les éluder, de ne pas les ajourner, d’être toujours prêt à payer de sa personne à l’échéance. Choisir son temps, trier les questions, prendre ses dimensions à loisir, cela rentre dans les mœurs académiques, cela n’est pas conforme aux véritables mœurs parlementaires.

Mais, quoique le débat sur l’emprunt n’ait pas eu une grande importance, M. Thiers a parlé, et pour tous ceux qui ont le goût des choses bien dites, cette rentrée de M. Thiers dans la discussion publique a été une véritable fête. Sauf des échappées très circonscrites sur la politique étrangère, et ça et là quelques mots à plus longue portée lancés avec une fine bonhomie, M. Thiers n’a guère voulu faire qu’un discours technique sur les arides questions de trésorerie. M. Thiers aborde les sujets de cette nature avec un goût et une coquetterie d’artiste ; il en parle en homme du métier, et il ne laisse pas échapper l’occasion de montrer aux hommes qui ne sont que du métier comment, par une composition adroite, par des jeux d’ombre et de lumière, ceux qui savent penser, écrire, parler, réussissent à rendre ces questions arides accessibles aux intelligences les plus rebelles. M. Thiers expose, décrit ce qui a été et ce qui est avec une lucidité charmante qu’il faudrait toujours applaudir, si parfois, trop amoureux des découvertes qu’il fait dans le passé, il n’était enclin à regarder ce qui a été et ce qui est comme devant toujours être. Au point de vue de quelques définitions et de quelques appréciations, nous ferions bien quelques chicanes à M. Thiers : nous lui demanderions par exemple pourquoi il place comme financier l’abbé Louis au-dessus de M. Mollien. L’abbé Louis a fait, grâce à la droiture de son jugement et à la vigueur de son caractère, d’heureuses opérations de finances ; mais M. Mollien, administrateur non moins clairvoyant, non moins exact, qui a été, lui aussi, aux prises avec d’extraordinaires difficultés, avait dans l’esprit plus d’étendue, plus de culture, plus d’inspiration créatrice, et en matière économique plus d’aptitudes progressives que M. Louis. C’est l’impression qu’on reçoit de la lecture des Mémoires d’un ministre du Trésor, ce témoignage discret, honnête, sincère et si élégant qu’il nous a laissé sur lui-même. Nous ne pensons pas non plus que l’on ne puisse pas entrevoir d’autres arrangemens de trésorerie que ceux qui sont en vigueur ; mais ces questions raffinées n’ont pas aujourd’hui d’opportunité : ces dissidences ne peuvent être que des sujets de conversation, comme l’a dit en passant M. Vuitry, chez qui, pour la connaissance du détail des finances et la parfaite clarté de l’exposition, M. Thiers a rencontré un partenaire digne de lui.

Ce débat de l’emprunt a été le motif d’une bizarre méprise pour deux honorables députés de l’opposition, MM. Guéroult et Havin. On sait que M. Thiers demandait que le gouvernement ne fût autorisé à émettre en 1864 que pour 100 ou 150 millions de bons du trésor. MM. Havin et Guéroult ont pensé qu’une semblable limitation de l’émission des bons du tré-