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II

Entre l’Yssel, le Rhin, le Zuyderzée et les terres basses qui longent la Mer du Nord s’étend un plateau sablonneux que l’étranger ne visitait guère autrefois, mais que vient de couper le chemin de fer central néerlandais en se dirigeant d’Utrecht vers Zwolle : c’est la Veluwe, qui comprend la plus grande partie de la province de Gueldre et un tiers environ de celle d’Utrecht. Ce n’est plus là du tout la Hollande décrite par les voyageurs. Les sables arides ont remplacé l’argile féconde, et les maigres bruyères ont succédé aux gras herbages. On ne rencontre plus ici que des villages perdus dans de vastes solitudes. Pour bien saisir l’aspect de cet intéressant district, il faut suivre la route d’Arnhem vers Hattem par Apeldoorn, ou mieux encore marcher de clocher en clocher à travers la lande, assuré qu’on est d’ailleurs de rencontrer partout un gîte suffisamment comfortable et un accueil hospitalier. Quoique ce relèvement du terrain diluvien ne monte pas haut, il est cependant loin d’être plat : il s’élève et s’abaisse tour à tour en larges et douces ondulations semblables à celles que le vent creuse sur les plages de sable de la mer. Lorsqu’on jette les yeux autour de soi du haut d’une de ces éminences, le paysage, malgré la monotonie des lignes, n’est pas dépourvu de cette grandeur mélancolique qui caractérise toujours les scènes de la nature, quand rien n’y révèle la présence ou le travail de l’homme. De tous les côtés se déroule une interminable suite de collines, les unes fondues dans les lointains bleuâtres, les autres revêtues des sombres teintes de la flore des lieux stériles, d’autres encore faisant étinceler au soleil l’éclat de leurs sables mouvans, que le vent promène sur la surface du pays, et toutes ensemble éveillant dans l’esprit l’image d’un gigantesque troupeau de moutons blancs et noirs, pittoresque comparaison des psaumes dont on comprend ici toute l’exactitude. On se croirait transporté dans les steppes de la Tartarie, surtout aux approches d’une auberge qui justifie parfaitement son nom de Woestehoeve (la ferme du désert). Point d’arbres, point de moissons, point de ruisseaux, point de routes ; c’est la solitude complète, et le silence n’est interrompu que par le bourdonnement de l’abeille ou par le chant joyeux de l’alouette qui s’enlève à votre approche. Cependant au fond des plis du terrain on rencontre de beaux bois et de charmans villages, qui feraient presque douter de la stérilité naturelle des espaces inhabités qu’on vient de traverser.

Ici l’on se retrouve de nouveau sur le territoire qu’occupèrent jadis les Saxons. Par conséquent le régime des marken et des esschen régnait également dans ce district, et il en reste beaucoup de traces ;