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pensons pas. Une telle opinion serait insoutenable. Il s’ensuivrait en effet qu’un climat, aussi longtemps qu’il resterait le même, produirait constamment en nombre égal des artistes d’égal génie, que, tous les climats plus ou moins semblables à celui-là offriraient le phénomène d’une abondance plus ou moins pareille, qu’enfin les climats rigoureux et tristes, comme l’Angleterre, la Hollande et l’Allemagne septentrionale, seraient, quant aux beaux-arts, éternellement stériles et maudits. Winckelmann, qu’Émeric David semble accuser ou réfuter, est loin d’être tombé dans cette erreur matérialiste. Il s’est borné à dire que le beau ciel de la Grèce était admirablement propre à seconder le développement des facultés de l’esprit et des forces du corps. Ceux qui ont vécu dans la Grèce d’aujourd’hui, quoique cette Grèce dépouillée en trop d’endroits et généralement aride et brûlante, soit très différente à coup sûr de la Grèce de Périclès, ceux-là, s’ils parlent avec sincérité, donneront raison à Winckelmann, qui d’ailleurs n’en jugeait que sur le témoignage des écrivains grecs. Peut-être l’auteur de l’Histoire de l’Art aurait-il dû se méfier un peu plus des voyageurs modernes qui lui garantissaient la persistance de la beauté physique dans la race hellénique contemporaine, et n’en pas inférer si aisément que le soleil de l’Attique et du Péloponèse avait eu autrefois la vertu d’embellir les visages. Le fait ne paraît pas suffisamment prouvé. Toutefois, et malgré les regrets de Cicéron, qui se plaint quelque part d’avoir rencontré à peine un seul bel homme dans la foule des jeunes gens que l’on voyait de son temps à Athènes, il est probable que chez les Grecs, qui attachaient tant de prix aux formes du corps, la beauté était moins rare que chez les modernes. La douceur du climat n’en fut pas la cause directe, mais elle dut y contribuer de diverses façons. Cependant, de peur de faire au climat la part trop large, Émeric David n’a pas daigné signaler, même en passant, les avantages de la vie physique en Grèce. Il vante à la vérité la gymnastique, mais il semble n’avoir pas soupçonné qu’elle devait communiquer une grâce, une agilité, une beauté plus grandes à cette nation d’athlètes. Il n’a pas mieux compris de quelle inappréciable utilité était pour les artistes le spectacle fréquent, sinon continuel, du corps humain, tout entier visible, agissant de mille façons, prenant mille attitudes, merveilleusement animé dans les jeux publics par la passion et l’espoir du triomphe. Cet enseignement qui venait au-devant du sculpteur grec et qui l’instruisait à son insu dès ses premières années, où donc en trouver l’équivalent dans nos pays et à notre époque ? Ottfried Müller a remarqué, dans son Manuel d’archéologie, que nulle part, chez les écrivains grecs, il n’est question de modèles d’hommes. Ce silence ne tranche pas la question ; cependant on en peut conclure