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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/361

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grecques, mais parce qu’elles sont d’une signification plastique absolument générale. Ce mode d’expression est donc inévitable, et tel qui en médit sera bien forcé de s’en servir un jour. Seulement l’homme de métier qui ne vit que de ruses et le véritable artiste s’en servent très différemment. Le premier s’en tire avec de la mémoire et de l’adresse, et produit une statue correcte et nulle que personne ne regardera. L’artiste au contraire donne à ces types généraux un air de vie ; une âme, un sentiment ; il les met en scène ; il les rattache à d’autres figures, dont ils sont le centre et le lien. Comme David d’Angers au fronton du Panthéon, il anime de pures idées, il nous émeut à l’aspect de la France, de la Liberté, de l’Histoire. Ces femmes, qui ne sont pas, il est vrai, aussi, plastiquement vivantes que les marbres du Parthénon, sont belles cependant. Il s’est trouvé, il se trouve encore des juges pour les apprécier, des amateurs pour en discerner et en goûter les mérites. Il est donc bon, il est désirable que l’art contemporain en sculpte de pareilles ; il est bon de même qu’il multiplie parmi nous des œuvres pures, fortes ou charmantes, qui entretiennent le sentiment de la calme beauté, puisque c’est pour plusieurs un plaisir délicat de rencontrer au détour d’une allée un bronze animé de Barye, dans une bibliothèque publique un marbre expressif de Simart, dans un musée quelque figure de jeune femme où Pradier ait mis la beauté du corps sans trop oublier l’âme.

Mais un dernier doute s’élève. Combien parmi nous goûtent de tels plaisirs ? combien, même entre les plus éclairés, se montrent empressés autour des œuvres de la sculpture antique ou moderne ? En vain nous repoussons loin de nous cette importune et mélancolique pensée ; elle revient toujours à notre esprit parce que toujours les faits la ramènent. Depuis qu’Émeric David a écrit son livre, ni les secours, ni les leçons, ni les travaux, ni les récompenses, n’ont manqué à la sculpture contemporaine. À l’école de Rome et en dehors de cette école se sont formés des artistes distingués auxquels les autres pays du monde n’ont point opposé de rivaux redoutables. Pourtant, à l’égard de la statuaire, où en est chez nous le goût public ? Quand s’ouvrent nos salles d’exposition, où se porte la foule ? A mérite égal, est-ce le peintre ou le sculpteur en renom qui verra son œuvre entourée ? Au salon de 1863, la critique a pu constater avec raison un sensible progrès dans les œuvres de la sculpture. Qui s’en serait douté en voyant la vaste nef presque vide ? On répète que la sculpture est un art froid, sérieux, aristocratique, que pour en sentir les beautés il faut de l’étude, de la préparation, des loisirs. On a donc oublié que cet art était démocratique à Athènes, même avant les largesses de Périclès ? Chez nous, on se presse, au