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justice et condamné, il a pris l’offensive à son tour. On l’a vu attaquer le système des églises nationales, c’est-à-dire des églises d’état, avec autant de dignité que de vigueur ; on l’a vu réclamer la liberté religieuse absolue, non-seulement la liberté de conscience, mais la liberté de culte ; on l’a vu enfin demander la séparation du spirituel et du temporel, au nom des intérêts de l’âme, trente ans avant que M. de Cavour, au nom de l’indépendance italienne, eût demandé l’église libre dans l’état libre. Et en même temps qu’il était mêlé de la sorte aux luttes de la démocratie dans un canton de la Suisse, il continuait sans trêve son apostolat littéraire et moral. Historien, professeur, critique, il touchait à toutes les questions du siècle ; prédicateur, il enseignait la religion la plus libérale et la plus exigeante à la fois : la plus libérale, puisqu’elle était un principe de vie et non une lettre morte ; la plus exigeante, puisque ce principe s’imposait à l’existence tout entière. C’était surtout une âme. Puissé-je la peindre, cette âme si candide et si riche, telle que je l’ai retrouvée dans ses œuvres, dans ses luttes, et aussi dans le vivant souvenir de ses disciples !


I

En 1823, un jurisconsulte éminent, M. le comte Lambrechts, ancien professeur de droit à Louvain, ministre de la justice sous le directoire, sénateur de l’empire, député de la restauration, instituait en mourant un prix de 2,000 francs pour l’auteur du meilleur mémoire sur la liberté des cultes. La Société de la morale chrétienne avait été chargée de juger les écrits des concurrens, et la lice devait être close deux années après la mort du testateur. Vingt-neuf mémoires furent envoyés au concours ; celui qui fut couronné arrivait de Bâle et portait ce nom inconnu : Alexandre Vinet.

Si le nom était inconnu, l’homme ne le fut pas longtemps. Aucun des juges n’avait de renseignemens sur la personne d’Alexandre Vinet ; mais tous, après la lecture de son œuvre, se sentirent en communication intime avec lui. Charme et puissance de la candeur ! une âme s’était révélée, et malgré les fautes de l’écrivain, malgré les imperfections de son système, tous ces graves moralistes étaient heureux de la saluer par la voix de leur éloquent interprète. Le rapporteur, illustre déjà par son enseignement et mêlé dans la presse à des luttes restées célèbres, n’était autre que M. Guizot. Or, quand il arrive au mémoire de M. Vinet, une joie virile éclate dans ses paroles. Où il ne s’attendait qu’à voir un auteur, il a trouvé un homme, et cet homme est la preuve vivante des principes qu’il affirme. On oppose à l’établissement de la liberté des cultes le danger