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les revanches éclatantes de notre génie et qu’il ajoute : « Peuple enfant, qui joue autour de quelques mots, peuple à qui ses jouets représentent le monde, peuple qui n’est pas vraiment peuple, parce qu’il ne lui a jamais été permis de penser ni de sentir avec énergie ! » Oui, ce sont là des paroles excessives ; mais nous qui pensons que l’œuvre principale du XIXe siècle sera la transformation de notre esprit, l’éducation libérale de la France et de l’humanité, nous qui travaillons de cœur et d’âme à la régénération de la patrie, nous nous sentons assez forts, assez confians en nous-mêmes et dans l’avenir, pour supporter un tel avertissement, même sous sa forme la plus dure. Ne savons-nous pas que ces reproches cachent une sympathie ardente ? Nous mesurons d’ailleurs, à quarante ans de distance, les progrès accomplis, et, voyant autour de nous un si vif désir d’ajouter à nos grands instincts sociaux, à nos inspirations profondément humaines, le sentiment individuel qui nous manque, nous répétons volontiers avec l’auteur : « Heureuse la nation qui est demeurée souveraine de sa pensée ! Elle sent sa dignité, et elle en est trop fière pour être une nation vaine. Admis à la contemplation des perspectives immortelles de sa race, à l’examen de tout ce qui peut intéresser une intelligence humaine, l’homme de cette nation est naturellement sérieux, réservé, profond. La jouissance de la liberté de pensée l’honore à ses propres yeux ; il sent la noble allégresse de l’adolescent qui atteint la virilité. Peu de choses sont exigées de l’enfant ; mais, pour lui, sa responsabilité est aussi grande que sa liberté, il ne l’ignore pas. Toutes les relations de la vie sont graves à ses yeux comme sa propre existence… Cherchez ailleurs les prodiges brillans de l’honneur, mais ne cherchez qu’ici le patriotisme et l’esprit public. »

Ainsi parlait le généreux apôtre, et des preuves de toute sorte abondaient sur ses lèvres. Nous ne jugeons pas encore son système, la religion individuelle substituée aux religions d’état, puisque ce n’est ici qu’un programme dont le développement remplira toute une vie. Disons seulement que ce programme contenait des germes immortels, et que, longtemps inconnu de la foule, le Mémoire en faveur de la liberté des cultes reprend aujourd’hui sa place dans l’histoire des idées.

Quel était donc cet écrivain qui posait avec tant de confiance les bases du libéralisme le plus large sans se soucier des passions étroites de son temps, et qui, dans sa candeur audacieuse, faisait la leçon à nos maîtres ? Alexandre-Rodolphe Vinet était un enfant du canton de Vaud. On sait que Lausanne, construite sur les hauteurs d’où le regard embrasse la partie la plus grandiose du Léman, a son port sur les rives du lac, un joli petit port appelé Ouchy. C’est