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une loi externe, il l’avait, si on l’ose dire, intérieurement conçue ; Que des théologiens de profession marquent avec soin les différentes phases de cette doctrine, qu’ils prennent plaisir à suivre de point en point un développement continu dans la pensée religieuse de Vinet[1], il nous suffit ici d’indiquer ce qui éclata en lui dès cette première crise, sous forme définitive ou sous forme provisoire. La démonstration psychologique de la nécessité de l’Évangile pourra se fortifier d’argumens nouveaux ; elle existe déjà tout entière chez l’écrivain. La théorie de la liberté de conscience et de l’efficacité chrétienne de cette liberté pourra s’enrichir aussi de ses méditations pendant un labeur de vingt ans ; elle est déjà toute formée dans son cœur. Bien plus, ce publiciste intrépide et humble qui bravera la révolution hégélienne dans le canton de Vaud sans agiter jamais les passions, je le vois se lever armé de toutes pièces dès le lendemain de cette transformation intime que je viens de signaler. Personne n’ignore ce qu’on a nommé le réveil dans l’histoire du protestantisme helvétique au XIXe siècle ; c’était un effort pour ranimer la piété en dehors du culte officiel, un élan de spontanéité religieuse en face de l’église nationale, en un mot quelque chose d’analogue à ces réformes partielles qu’on a vues de tout temps au sein du christianisme primitif, et dont le moyen âge est rempli. Dans une république protestante, c’est-à-dire chrétienne et libérale, le réveil dont nous parlons aurait dû inspirer le respect ; dans un état déjà travaillé par l’esprit révolutionnaire et où le protestantisme officiel n’avait qu’une force négative, le réveil, frappé de suspicion, fut en butte à l’outrage. On affectait d’y voir une intrigue pharisaïque, l’œuvre d’une aristocratie bigote, et c’est alors que le nom de mômier fut inventé ou mis à la mode pour flétrir l’élite de la patrie. Le 20 mai 1824, le grand-conseil du canton de Vaud, sous la pression de la populace, vota une loi tristement fameuse, la loi qui défendait aux sectaires de se réunir hors des lieux consacrés et de suivre un culte particulier en opposition au culte national. Des actes de violence ayant été commis contre les partisans du réveil, le gouvernement avait cru prévenir les émeutes en défendant leurs pieuses assemblées ; c’était donner gain de cause aux passions et ajouter la persécution régulière à la persécution brutale. Vinet, attaché à Bâle comme à une seconde patrie, pouvait-il

  1. Voyez l’intéressant ouvrage de M. Edmond Scherer : Alexandre Vinet. Notice sur sa vie et ses écrits, in-8o, Paris 1853. — Plusieurs écrivains de la Suisse ont consacré d’importans travaux à la mémoire de Vinet : nous recommandons en première ligne les deux volumes qui portent ce titre : Esprit d’Alexandre Vinet, pensées et réflexions extraites de tous ses ouvrages et de quelques manuscrits inédits, avec une préfacé par J.-F. Astié ; Paris et Genève, Joël Cherbuliez, 1861.