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III

Vinet ne pouvait rester toujours à Bâle ; un peu plus tôt, un peu plus tard, il était inévitable que Lausanne réclamât son enfant. Ce moment arriva en 1837. L’académie de Lausanne avait été réorganisée avec éclat ; des hommes distingués, MM. Monnard, Vuillemin, Secrétan, Chappuis, Olivier, y enseignaient les lettres et la philosophie ; l’illustre poète Miçkiewicz y avait déjà inauguré l’étude des littératures slaves, et M. Sainte-Beuve allait y déployer son histoire de Port-Royal. Vinet fut chargé de la théologie pratique : le 1er novembre 1837, il fut installé dans sa chaire par le président du conseil d’état et par le recteur de l’académie. Ce jour-là même, l’élite de la société vaudoise étant présente, il exposa le plan et la portée de son enseignement.

Cet enseignement se divisait en plusieurs branches, dont les principales étaient la théologie pastorale ou théorie du ministère, l’homilétique ou théorie de la prédication ; deux ouvrages, portant précisément ces titres et publiés depuis la mort de Vinet, ont conservé pour nous la substance de ses cours, la moelle de sa doctrine[1]. La Théologie pastorale est le guide complet du sacerdoce évangélique ; pour traiter de la vocation, de la vie intérieure, de la vie sociale du ministre, pour le suivre dans toutes les voies où sa mission l’appelle, l’auteur interroge la tradition du christianisme primitif, et, non content de s’adresser aux pères, il s’inspire aussi des catholiques modernes, Saint-Cyran et Duguet, Massillon et Bourdaloue. Quelquefois il est si plein de son sujet, sa conception idéale du vrai pasteur selon le Christ lui cause un tel ravissement qu’il abandonne le plan de son discours et laisse un hymne de joie monter de son cœur à ses lèvres ; mais c’est surtout « le mystère de la prédication, ce mystère terrible et épouvantable, » comme dit saint Cyran, qui émeut la conscience de Vinet. Chargé de l’enseigner à de jeunes générations, on voit qu’il ramasse toutes ses forces. « Les principaux arts, a dit Bossuet, sont la grammaire, qui fait parler correctement, la rhétorique, qui fait parler éloquemment, la poétique, qui fait parler divinement… » On dirait que ces trois arts sont unis dans la théorie de Vinet. L’élève de ce Quintilien évangélique doit arriver à parler divinement, et il est clair que la rhétorique toute seule ne suffirait pas aux exigences du maître. Le souffle inspiré qui l’anime se révèle dans toutes ses prescriptions. Point de théologie, mais toujours la religion vivante ; point de controverses,

  1. Théologie pastorale ou Théorie du ministère évangélique, 1 vol. in-8o. Paris 1850. — Homilétique ou Théorie de la prédication, par A. Vinet, 1 vol. in-8o. Paris 1853.