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occupa pour le moins autant que celui de Fouquet l’opinion publique, qui en recueillit les détails avec une avidité fiévreuse. Ces empoisonnemens successifs, par une femme appartenant aux premiers rangs de la société, d’un père chargé de la police parisienne, de deux frères, l’un lieutenant civil, l’autre conseiller au parlement, ces tentatives sur un mari et sur une sœur, ces essais de poisons faits jusque dans les salles des hôpitaux avec un calme infernal, tout cela avait soulevé non-seulement à Paris, mais en France et à l’étranger, une rumeur immense. On eût dit que tout le monde était intéressé au procès, et il n’était question que des poudres de succession. Le receveur général du clergé, Reich de Penautier, fut accusé dans le même temps d’avoir empoisonné son prédécesseur, et son acquittement, juste ou non, attribué à des influences de toute sorte, n’avait fait qu’ajouter au scandale. On croyait enfin (et les bruits qui avaient couru à l’occasion de la mort de Madame, dont le souvenir était encore présent, n’y contribuaient pas peu) qu’il y avait dans Paris des officines de poisons à la disposition des fils de famille ruinés, des ménages troublés, des ambitieux impatiens. Les juges mêmes qui avaient condamné la marquise de Brinvilliers partageaient ces appréhensions, et le premier président de Lamoignon, en donnant ses instructions au prêtre qui devait la préparer à la mort, lui avait dit : « Nous avons intérêt, pour le public, que ses crimes meurent avec elle, et qu’elle prévienne, par une déclaration de ce qu’elle sait, toutes les suites qu’ils pourroient avoir ; » mais la marquise de Brinvilliers s’était bornée à confesser ses monstrueux empoisonnemens, et n’avait donné aucune des indications que la justice espérait d’elle, laissant ainsi planer sur tous la menace d’un danger d’autant plus redoutable que, d’après l’opinion commune, les nouveaux poisons, œuvre raffinée des Italiens, causaient la mort par leurs seules émanations, sans occasionner aucune lésion apparente. Le crime devenait ainsi également impossible à prévenir et à constater.

La marquise de Brinvilliers avait été exécutée le 16 juillet 1676. Environ un an après, le 21 septembre 1677, un billet sans signature, trouvé dans un confessionnal de l’église des jésuites de la rue Saint-Antoine, et portant qu’il existait un projet d’empoisonner le roi et le dauphin, excita au plus haut degré les inquiétudes du lieutenant-général de police. Après quelques mois de recherches, on mit la main sur deux individus, Louis Vanens et Robert de La Mirée, seigneur de Bachimont en Artois, dont la conduite parut plus que suspecte, sans justifier toutefois, par des faits précis, l’accusation qui pesait sur eux. Le premier ne se contentait pas de chercher le grand œuvre ; il fabriquait aussi des philtres, qu’il vendait à des