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même sort se nomaeit Gastine ; mais la dame de Rouville vous éclaîrcira encore mieux que je ne puis faire, puisqu’elle dit qu’il étoit son parent… »


Quatre mois après, le 21 juillet 1680, Louvois informait La Reynie qu’il avait lu au roi la déclaration de la fille Voisin, si terrible, on s’en souvient, pour Mme de Montespan, « et que le roi espéroit bien qu’il finiroit par découvrir la vérité. » A quelques jours de là, il lui ordonnait de ne pas faire juger les prisonniers de Vincennes en l’absence du roi ; puis, deux mois plus tard, le 25 septembre, il écrivait à M. Robert, procureur-général près la chambre de l’Arsenal :


« J’ai lu au roi les lettres que vous m’avez écrites hier et aujourd’hui, et les mémoires qui les accompagnoient. Sa majesté a vu avec déplaisir, par ce qu’ils contiennent, l’apparence qu’il y a que Mme de Vivonne a eu un commerce criminel avec la Filastre et autres prisonniers de Vincennes ; mais, comme la preuve n’en est pas encore complète, elle a cru qu’il valoit mieux prendre le parti le plus sûr et ne point venir à une démonstration telle que seroit un décret contre une femme de la qualité de Mme de Vivonne, que l’on n’ait l’éclaircissement sur ce qui la regarde et qu’il paroît à sa majesté que l’on ne peut manquer d’avoir par le procès-verbal de question de la Filastre… »


Ainsi tout ce qu’il y avait de plus élevé à la cour, le roi, la reine, le dauphin, Colbert, la duchesse de La Vallière, la duchesse de Fontanges, avait pu être l’objet de tentatives criminelles dont les auteurs présumés n’étaient rien moins que la comtesse de Soissons, la marquise de Montespan, la duchesse de Vivonne, Fouquet ou ses agens. Mme de Montespan elle-même aurait été menacée par des rivales impatientes. La situation de Colbert était surtout particulière. En effet, des témoins nombreux et parfaitement concordans attestaient qu’on en voulait à sa vie. Une lettre de lui à l’un de ses frères semble confirmer ces déclarations. « Comme j’ai l’estomac mauvais, écrivait-il le 19 novembre 1672, j’ai pris depuis quelque temps un régime de vivre fort réglé. Je mange en mon particulier, et je ne mange qu’un seul poulet à dîner avec du potage. Le soir, je prends un morceau de pain et un bouillon, ou choses équivalentes, et le matin un morceau de pain et un bouillon aussi. » Ce trouble, cette perturbation réelle dans les fonctions de l’estomac avaient donné à penser à La Reynie, qui conseille, dans un de ses mémoires, de faire attention « au temps où M. Colbert avoit été malade, et de rechercher un domestique qui avoit été prévenu et corrompu. » D’autre part, une des filles de Colbert avait épousé, le 14 février 1679, le duc de Mortemart[1], fils de la duchesse de Vivonne,

  1. Ce duc de Mortemart, qui mourut jeune, était brouillé avec son père, qu’on amena cependant à son lit de mort. « Toute la famille, dit Saint-Simon, étoit là, désolée. M. de Vivonne, après un long silence, se prit tout d’un coup à dire : « Ce pauvre homme-là n’en reviendra pas, j’ai vu mourir tout comme cela son pauvre père. » On peut juger quel scandale cela fit ; ce prétendu père étoit un écuyer de M. de Vivonne. Il ne s’en embarrassa pas le moins du monde, et après un peu de silence, il s’en alla… »