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lui qui donna, on peut le dire, tout en restant dans l’ombre, la solution de cette immense procédure. Nous savons par La Reynie ce que devinrent les prisonniers et à quelles peines ils furent condamnés. Trente-six, parmi lesquels la Voisin, la Filastre, la Vigoureux, une Mme de Carada, plusieurs prêtres, un sieur Jean Maillard, auditeur des comptes, furent condamnés à mort et exécutés. Ce Maillard, que l’arrêt de condamnation qualifie de criminel de lèse-majesté, avait été accusé de tentative d’empoisonnement sur le roi et sur Colbert, et l’on supposa que c’était un agent, un séide de Fouquet. Un grand nombre d’autres en furent quittes pour la prison, soit perpétuelle, soit temporaire, ou pour le bannissement ; mais on a vu ce que signifiait ce dernier mot. La Reynie donne en effet la liste de quatre-vingts accusés condamnés au bannissement ou non jugés, qui furent retenus par ordre du roi. Il y avait enfin la catégorie des accusés dont le roi fit surseoir le jugement, et ce n’étaient pas les moins coupables, car on comptait parmi eux la fille Voisin, les prêtres Lesage et Guibourg, une femme Chapelain et plusieurs autres dont les dépositions avaient été accablantes pour Mmes de Vivonne et de Montespan. En ce qui concerne Lesage, c’était la réalisation des promesses que lui avait faites Louvois en personne. Des engagemens de même nature avaient sans doute été pris avec tous ceux dont le jugement fut suspendu. Que devinrent ces divers prisonniers ? Les registres de la Bastille et des forteresses d’état l’auraient appris à coup sûr ; on le devine en lisant l’extrait suivant d’un rapport fait à La Reynie, environ douze ans après, sur les prisonniers du fort de Salces, en Roussillon. Parmi les accusés que Louis XIV avait donné ordre de retenir figurait un gendarme nommé La Frace. Voici l’extrait de ce rapport qui le regarde : « Le nommé La Frace dit avoir été lieutenant dans le régiment de Condé et avoir servi ensuite dans les gendarmes. Il est resté prisonnier à Vincennes ou à la Bastille trois ans deux mois, et à Salces neuf ans. Il dit qu’il ne sait pas pourquoi il a été arrêté prisonnier, n’ayant point été interrogé. » Ce La Frace, en parlant ainsi, mentait sciemment, car on lit dans l’extrait d’un interrogatoire résumé par Colbert que la femme Filastre était allée le trouver au camp, au mois d’août 1679, pour le prier de la faire entrer au service de Mlle de Fontanges. La Frace connaissait donc la Filastre, qui avait été condamnée à mort et exécutée. Envoyé par précaution dans une forteresse du Roussillon, il y avait probablement été oublié.

Il n’était pas le seul. On a vu la lettre de Louvois à Louis XIV au sujet des accusations qui avaient d’abord pesé sur le duc de Luxembourg. Plus tard, ces accusations perdirent beaucoup de leur gravité, la chambre ayant reconnu que le duc de Luxembourg avait été