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est également interdite, car la Russie souffre déjà d’un trop-plein qui la menace d’une crise terrible. On est ainsi conduit à interroger la Russie non plus sur ce qu’elle produit ou sur ce qu’elle dépense, mais sur un troisième ordre de faits non moins considérable, sur les difficultés qui peuvent naître pour elle de l’assiette de son crédit.


II

L’administration publique de tous les états peut être envisagée comme une grande banque dont les sorties et les rentrées se balancent à la fin de l’année. Sans approuver un pareil expédient, on comprend que, profitant du mouvement du trésor et de la facilité qu’offre le paiement de l’impôt, le gouvernement crée une monnaie fiduciaire qui se maintiendra dans la circulation sans l’encombrer, si on n’oublie point de la restreindre dans les limites marquées par l’importance même des recouvremens à opérer. La prudence la plus vulgaire commande de se tenir dans une limite du quart au tiers du montant total du budget des recettes, ce qui donnerait pour la Russie une marge d’environ 100 millions de roubles (400 millions de francs). Ce chiffre, déjà considérable, se trouve presque septuplé sans que la possibilité de l’échange des billets contre espèces vienne raffermir la base chancelante d’une immense circulation fictive.

Rien de plus curieux ni de plus instructif que l’histoire du papier-monnaie en Russie ; elle nous offre le contre-pied des principes sur lesquels peut s’asseoir un crédit sérieux : l’audace des entreprises le dispute à la facilité avec laquelle les engagemens les plus solennels se trouvent désertés. C’est encore un écrivain russe, justement accrédité, qui nous fournira les données précises propres à jeter la lumière sur ces graves questions[1]. La monnaie de papier apparut pour la première fois sous Catherine II ; le manifeste publié par l’impératrice le 29 décembre 1768 s’appuie sur cette circonstance, que la monnaie de cuivre, alors instrument principal de la circulation, se prêtait mal au mouvement commercial et au transport de place en place. Afin de donner au papier-monnaie, créé sous le nom d’assignats, la faculté de circuler comme le métal, le même manifeste ordonne qu’il soit reçu dans toutes les caisses publiques, à l’égal du numéraire, en paiement d’impôts. On fit plus, on obligea les contribuables à s’acquitter au moins pour le vingtième en assignats. En outre des bureaux d’échange des assignats contre la monnaie

  1. M. Ivan Gorlov, professeur à l’université de Pétersbourg et inspecteur de la faculté de droit, a fait paraître en 1862 ses Principes d’économie politique. Le second volume contient (pages 200-227) les notions les plus complètes sur la circulation fiduciaire de la Russie.