Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour 10,000 sesterces (2,000 fr.) un logement sur le Palatin, dans la maison du fameux tribun Appius Clodius. Ce fut un événement grave dans sa vie, car c’est là qu’il connut Clodia.

Si l’on s’en tenait au témoignage de Cicéron, on aurait une détestable opinion de Clodia ; mais Cicéron est un témoin trop passionné pour être tout à fait juste, et la haine furieuse qu’il portait au frère le rend très suspect quand il parle de la sœur. D’ailleurs il ne faut pas oublier qu’il nous dit lui-même qu’elle avait conservé des relations avec de fort honnêtes gens, ce qui ne laisserait pas de surprendre s’il était vrai qu’elle eût commis tous les crimes qu’il lui reproche. Il est bien difficile de croire que des personnages importans dans la république et soucieux de leur réputation eussent continué de la voir, s’il était vrai qu’elle eût empoisonné son mari et qu’elle fût la maîtresse de ses frères. C’était un bruit public que Cicéron répétait avec complaisance, mais qu’il n’avait pas inventé. Beaucoup de gens à Rome le croyaient, les ennemis de Clodia affectaient de le dire, et l’on en faisait des vers malins qu’on inscrivait sur toutes les murailles. La réputation de Clodia était donc très mauvaise, et il faut bien avouer que, malgré quelques exagérations, elle la méritait en partie. Rien ne prouve qu’elle eût tué son mari, comme on l’en accusait : ces accusations d’empoisonnement étaient alors répandues et accueillies avec une incroyable légèreté, mais elle l’avait rendu fort malheureux pendant sa vie et n’avait pas paru très attristée de sa mort. Il est douteux, quoique le prétende Cicéron, qu’elle eût ses frères pour amans, mais il est malheureusement trop certain qu’elle en avait beaucoup d’autres. La seule excuse qu’on puisse alléguer pour elle, c’est que cette façon de vivre était alors assez ordinaire. Jamais les scandales de ce genre n’avaient été plus communs parmi les grandes dames de Rome. C’est qu’aussi la société romaine traversait une crise dont les causes, qui remontent loin, valent la peine d’être connues. Il faut en dire quelques mots pour qu’on puisse se rendre compte de la grave atteinte qu’avaient reçue les mœurs publiques.

Dans un pays où la famille était respectée comme à Rome, les femmes ne pouvaient manquer d’avoir beaucoup d’importance. Il était impossible que leur influence, qui était déjà si grande dans la maison, n’essayât pas d’en sortir, et la place honorable qu’elles tenaient dans la vie privée devait leur donner un jour la tentation d’envahir aussi la vie publique. Les vieux Romains, si jaloux de leur autorité, avaient le sentiment de ce péril, et ils n’ont rien négligé pour s’en défendre. On sait de quelle façon ils affectent de traiter les femmes : il n’est sorte de méchans propos qu’ils ne tiennent sur elles, ils les font attaquer au théâtre et se moquent d’elles