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qu’il ne cherchait à plaire aux femmes que pour mener les maris.

Ainsi, par l’abolition des vieilles lois, par le changement des anciennes maximes, les femmes étaient devenues libres. Or il est à remarquer qu’en général le premier usage qu’on fait de la liberté reconquise, c’est d’en abuser. On ne peut pas jouir d’une manière calme de droits dont on a longtemps été privé, et il entre toujours dans ces premiers momens une sorte d’ivresse qu’il est malaisé de contenir. C’est ce qui advint à la société romaine de cette époque, et tous ces déréglemens qu’on remarque alors dans la conduite des femmes s’expliquent en partie par l’attrait et l’enivrement de la liberté nouvelle. Celles qui aiment l’argent, comme Terentia, la femme de Cicéron, se gâtant, de jouir du droit qu’on leurs a rendu de disposer de leur fortune, s’associent pour des profits douteux avec des affranchis et des hommes d’affaires, volent leurs maris sans scrupule et se jettent dans les spéculations et les trafics, où elles apportent, avec un instinct inouï de rapacité, ce goût de petite épargne et de mesquine économie qui leur est naturel. Celles qui préfèrent le plaisir à la fortune se livrent à tous les plaisirs avec une ardeur emportée. Les moins hardies profitent de la facilité du divorce pour passer d’un amour à l’autre sous le couvert de la loi. Les autres ne prennent pas même cette peine et étalent effrontément leurs scandales.

Clodia était de celles-là ; mais, parmi tous ses vices, qu’elle ne prenait aucun souci de cacher, on est bien forcé de lui reconnaître quelques qualités. Elle n’était pas cupide ; sa bourse était ouverte à ses amis, et Cælius ne rougit pas d’y puiser. Elle aimait les gens d’esprit et les attirait chez elle. Un moment elle voulut persuader à Cicéron, dont elle admirait beaucoup le talent, de renoncer pour elle à sa sotte Terentia et de l’épouser ; mais Terentia, qui s’en douta, parvint à les brouiller mortellement ensemble. Un vieux scoliaste dit qu’elle dansait mieux qu’il ne convient à une honnête femme. Ce n’était pas le seul art pour lequel elle eût du goût, et l’on a cru pouvoir induire d’un passage de Cicéron qu’elle faisait aussi des vers. Cultiver les lettres, rechercher les gens d’esprit, aimer les plaisirs délicats et distingués, tout cela ne semble d’abord avoir rien de blâmable ; au contraire ce sont chez nous les qualités qu’une femme du monde est tenue, de posséder ou de feindre. On pensait autrement à Rome, et, comme les courtisanes avaient seules alors le privilège de cette vie élégante et libre, toute femme qui recherchait leurs talens courait le risque d’être confondue avec elles et traitée par l’opinion publique avec la même rigueur ; mais Clodia ne se souciait pas de l’opinion. Elle apportait dans sa conduite privée, dans ses engagemens d’affection, les mêmes emportemens et les mêmes ardeurs que son frère dans la vie publique. Prompte à tous