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parler les dialectes de Tongatabou, de la Nouvelle-Zélande, des Marquises, des Sandwich ou des autres îles. » On comprend toute la portée d’un pareil fait.

La langue polynésienne, au dire de tous ceux qui la connaissent, possède, à côté de certaines lacunes, des beautés spéciales. « Les mots de cette langue, dit un écrivain bien compétent en cette matière, M. Dulaurier[1], sont très simples : les syllabes se composent ou d’une seule voyelle, ou d’une consonne suivie d’une voyelle ; jamais un mot n’est terminé par une consonne. Tous les mots sont invariables, et le même mot sert de nom, d’adjectif, de verbe et de particule. Les différens rapports des parties du discours que nous exprimons par la déclinaison, la conjugaison et les prépositions, se rendent par des mots qu’on pourrait dans ce cas appeler particules, bien qu’ils soient de véritables mots qui dans tous les autres cas sont substantifs, adjectifs et verbes. C’est à l’aide de ces mots-parlicules qu’on exprime les différens rapports des parties du discours avec une précision et une vivacité dont les langues plus cultivées ne sont pas capables, parce que leurs terminaisons et leurs particules ne sont d’ordinaire que des signes n’ayant d’autres valeur que celle d’indiquer les rapports des mots… C’est une langue vraiment vivante… Nos langues cultivées ne sont vis-à-vis d’elle que de vieux arbres à branches desséchées ; leurs terminaisons et leurs particules sont mortes, puisque nous ne connaissons plus leur signification. »

Ajoutons que dans toute la Polynésie la langue était cultivée avec un soin extrême. Comme chez tous les peuples sauvages, l’éloquence exerçait un très grand empire, et l’habile orateur était l’égal du brave guerrier. Dans les îles où la société avait fait le plus de progrès, à Tahiti par exemple, on trouvait des professeurs de rhétorique et des écoles où s’enseignait l’art de parler. Nous connaissons quelques spécimens de l’éloquence qu’on y apprenait, et ces fragmens sont remarquables par l’animation aussi bien que par l’abondance et la grandeur des images. Les voyageurs nous ont conservé aussi quelques chants d’amour qui, à en juger sur la traduction, seraient certainement admirés, s’ils nous venaient de l’ancienne Rome ou de l’antique Grèce. Il est à regretter que l’on n’ait pas recueilli avec soin les morceaux les plus remarquables de cette poésie[2]. La race polynésienne ne possédait pas d’alphabet ; elle n’écrivait pas. Ses traditions s’effacent, et elle-même est en voie de disparition. Ne devrait-on pas s’efforcer de conserver le plus de produits

  1. Cité par Prichard dans ses Researches into the physical history of mankind. — Voyez aussi l’étude de M. Dulaurier sur les langues et la littérature de l’archipel d’Asie dans la Revue du 15 juillet 1841.
  2. Ce travail n’a guère été fait, je crois, que pour la Nouvelle-Zélande.