d’exemples du tabou religieux chez les races les moins voisines des Polynésiens. Le porc est taboué pour les juifs et les musulmans ; la viande est tabouée pour les catholiques lors des jours maigres ; un couvent de femmes est taboué pour les hommes, et réciproquement ; les lois de Moïse sont en bien des choses un code tabouéen où on retrouverait bon nombre de faits signalés par les voyageurs comme propres à la Polynésie. Enfin l’excommunication au moyen âge était un véritable tabou, qui, lui aussi, retranchait momentanément de la société des fidèles celui qui en était frappé, qui entraînait, on le sait, même pour les souverains, des conséquences civiles très graves, et dont on se relevait de même par des offrandes et des gages de soumission au pouvoir religieux. Le tabou, dans ce qu’il a de plus caractéristique, n’est donc point une institution aussi exclusivement polynésienne qu’on l’a cru.
Les institutions sociales des peuples dont nous parlons présentent des traits bien autrement exceptionnels, ce me semble, que ne le sont le tatouage et le tabou. Par exemple, on trouve, en Polynésie une société fortement organisée, des classes que sépare une barrière à peu près infranchissable, une aristocratie puissante, des chefs qui sont pour leurs subordonnés non-seulement des supérieurs, mais encore des êtres presque divins et parfois des dieux incarnés, et dans l’élément premier de toute société bien assise, dans la famille, tous les liens semblent avoir été relâchés comme à plaisir.
Et d’abord non-seulement, comme chez presque tous les peuples sauvages, la femme est regardée comme très inférieure à l’homme, comme faite pour le servir, et à ce titre assujettie aux plus rudes travaux, mais encore elle est presque partout en Polynésie regardée comme un être impur. Une foule d’objets sont taboues pour elle, et en particulier tout ce qui appartient à son mari. Elle a ses ustensiles à elle ; la plupart des mets, et précisément les meilleurs, les plus nourrissans, lui sont interdits. Elle n’assiste pas aux repas ; elle est bannie du moraï et de toutes les assemblées. Aux îles Gambier, dont les habitans présentent quelques exceptions remarquables au milieu de l’uniformité qu’on rencontre partout ailleurs, le préjugé s’adoucit un peu à son égard ; il en est de même à Tahiti. Dans cette nouvelle Cythère[1] la femme, considérée comme instrument de plaisir, s’est fait une place moins étroite dans la société. Partout ailleurs la naissance la plus élevée ne lui épargne aucun travail, aucune sujétion ; elle n’est en réalité ni épouse ni même mère : elle est l’esclave de son fils aussi bien que de son mari. Les élémens fondamentaux de la famille se trouvent ainsi anéantis.
Une autre cause non moins puissante de dissolution pour la fa-
- ↑ On sait que Bougainville avait donné ce nom à l’île de Tahiti.