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le mil. Ces natures demi-sauvages forment autant de sujets d’étude pour l’observateur. Le tropeiro qui vous sert de cicérone, façonné dès son enfance aux aventures des ranchos, vous égaie parfois de récits étranges ou d’explications inattendues ; mais vous avez bientôt assez de cette vie d’auberge, où vous êtes presque toujours suffoqué par les odeurs intenses de la cachaça, du nègre et du poisson salé, et par des myriades d’insectes de toute sorte. Aussi priez-vous votre guide de vous faire arriver au plus tôt chez le propriétaire d’une fazenda qui se trouve sur votre route, et pour lequel vous avez une lettre de recommandation. Dès les premières paroles que vous adresse votre hôte, vous reconnaissez cette hospitalité brésilienne qui semble rappeler les fabuleuses légendes des temps homériques.

Senhor, tout ce qui est dans ma maison est à votre disposition. Vous allez d’abord vous reposer ici quelques jours, puis vous travaillerez à votre aise. Si vous êtes naturaliste, mes chasseurs vous apporteront toute sorte d’insectes et d’animaux ; si vous préférez les excursions dans les bois, je vous donnerai un nègre qui portera vos bagages et vous conduira dans les endroits où vous pourrez faire les meilleures rencontres. Bien que chaque année nous empiétions de plus en plus sur la forêt, il nous en reste cependant encore des zones assez étendues pour que vous en puissiez faire votre profit. Quant à la suite de votre voyage, vous n’avez pas à vous en inquiéter : dès que vous voudrez partir, je vous donnerai des lettres pour les planteurs des environs. Ce sont pour la plupart mes parens ou mes amis. Vous serez reçu chez eux comme chez moi. Au Brésil, l’hospitalité n’est pas un vain mot. Ils vous remettront à leur tour des lettres pour leurs voisins, et de cette manière vous parcourrez toute la province sans avoir besoin de recourir aux vendas et aux ranchos des tropeiros. Du reste nous ne voyageons pas autrement.

C’est grâce à cette bienveillance brésilienne, si attentive, et si courtoise, qu’une exploration d’artiste devient possible dans ces contrées reculées. Le voyageur va de fazenda en fazenda, chevauchant à petites journées, trouvant chaque jour de nouveaux sujets d’étude, les soins les plus sympathiques et les plus désintéressés, souvent même le comfort et les habitudes d’Europe ; mais si, poussé par le démon de la science, il s’enfonce dans les forêts de l’intérieur, il doit dire adieu à tous les souvenirs de l’homme civilisé. Les picadas elles-mêmes disparaissent bientôt, et il faut se résoudre à remonter les rivières dans une pirogue indienne » ou à se frayer un passage à coups de sabre à travers les fourrés impénétrables au milieu des épines qui vous déchirent et des moustiques qui vous aveuglent. La nuit, vous vous réfugiez dans une hutte abandonnée ou