Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humaine n’a rien ici à faire, sinon pour combattre la forêt ou la détruire, du moins pour y créer des centres de travail et de vie sédentaire. On veut savoir si l’homme a pu vivre dans ces bois en apparence inhabitables, quels obstacles oppose la forêt au défrichement et à la colonisation, quelles ressources elle leur promet aussi.


II

Quels furent jadis les peuples dont les impénétrables dômes de verdure du mato virgem abritaient la vie indépendante et sauvage ? Les traditions recueillies par les missionnaires et les historiens de la conquête nous apprennent que lorsque Cabrai aborda la péninsule australe du Nouveau-Monde, deux nations, les Tupis et les Tapuyas, se disputaient les rives de l’Atlantique. Les premiers, tribu de l’immense famille des Guaranis, venaient du sud, et paraissaient représenter les véritables indigènes du sol américain. Leur type particulier et la nature de leur idiome militent en faveur de leur priorité ethnographique. Les Bugres de Sainte-Catherine et de Saint-Paul en sont les derniers vestiges. Les seconds, représentés par les Botocudos, qui errent encore aujourd’hui sur les frontières de Minas-Geraes, rappellent sensiblement le type mongol. Quelques racines de leur langue et la tradition qui les fait venir du nord sembleraient confirmer leur origine asiatique. Ces peuples, qui comptaient plus de cent tribus lorsqu’ils virent arriver les premières voiles latines, sont réduits de nos jours à quelques milliers d’hommes essayant encore de conserver leur sauvage indépendance dans les contrées les plus inaccessibles de l’intérieur. Décimés par la servitude, les armes à feu, la petite vérole et d’autres fléaux importés d’Europe, ils se sont retirés pas à pas devant l’étranger, lui cédant cette terre qu’ils n’avaient su ni défendre ni féconder. L’Indien est donc aujourd’hui pour peu de chose dans les difficultés qui arrêtent le colon ; mais il a laissé pour le venger d’autres enfans de la forêt, moins disposés que lui à laisser la place aux envahisseurs, et ayant quelquefois à leur service des armes non moins redoutables que ses flèches empoisonnées. Ce sont comme autant de sentinelles insaisissables placées en embuscade dans, tous les coins du désert pour en défendre l’entrée contre l’effort toujours croissant de la civilisation européenne.

En première ligne est sans contredit le macaco (singe). Le noir considère cet animal comme son ennemi personnel. C’est lui en effet qui dévaste les plantations de maïs dont le produit doit défrayer l’esclave de ses dépenses de tabac et de cachaça. « Passe encore, me disait un jour un mulâtre qui me racontait ses infortunes, si ce damné bicho (animal) se contentait de se rassasier