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L’histoire des Nord-Américains semblerait promettre la victoire à la civilisation ; mais je doute que cette victoire soit jamais complète dans le continent austral. La péninsule du nord a deux avantages qui feront toujours défaut à celle du sud : le voisinage des fortes races septentrionales et le retour périodique d’un hiver rigoureux. C’est de Hambourg, du Havre et de Liverpool que partent les émigrans, et le trajet n’est que de quelques semaines pour New-York, tandis qu’il faut quelquefois plusieurs mois pour aborder au Brésil. Le colon recherche avant tout une traversée courte, un pays où il soit certain de retrouver sa langue et des compatriotes, enfin une terre qui lui rappelle le sol natal. Les nations latines, qui ont jusqu’ici presque exclusivement peuplé l’Amérique du Sud, ne sont pas douées de cette énergie prolifique qui déborde chez les peuples germaniques. Les familles sont peu nombreuses. La douceur du climat pousse moins à l’émigration. D’un autre côté, on ne rencontre pas dans les plaines situées sous l’équateur cette alternance de saisons qui, ramenant un froid vif, excite les organes au travail. La fibre européenne se ramollit à la longue dans cette atmosphère d’eau et de soleil. L’activité cérébrale se ralentit à son tour. En un mot, tout conspire pour incliner à la nonchalance des races portées à la vie contemplative et habituées à compter outre mesure sur une Providence qui doit prendre soin de toutes ses créatures.

Faisons maintenant la part de la forêt. En aucun pays peut-être elle ne se montre aussi sévère pour l’homme. C’est une marâtre aussi redoutable dans ses rigueurs que caressante pour les plantes et les animaux qu’elle féconde dans son sein et qu’elle protège dans ses mystérieuses retraites. Aussi, malgré ce double courant européen du nord et de l’est que nous avons déjà signalé, et qui chaque jour apporte de plus en plus sur la terre américaine l’énergie anglo-saxonne et la sève germanique, doutons-nous de la colonisation complète et surtout rapide de la péninsule australe. Les régions de l’extrême sud, qui seules possèdent un climat tempéré, se trouvent un peu éloignées des côtes d’Europe, et à partir du capricorne, en remontant vers le nord, la nature semble accumuler à plaisir toutes les difficultés qui éloignent l’homme, forêts inaccessibles, rivières profondes, marécages empestés, fièvres mortelles, bêtes féroces… Si donc on peut prévoir que dans un avenir plus ou moins proche le bord oriental de la Plata sera livré à l’activité germanique, on peut dire aussi, je crois, avec autant de raison que le vaste bassin des Amazones, qui fournirait aux besoins et à l’alimentation de cinq cent millions d’hommes, n’aura encore pendant de longues années d’autres colons que les Indiens, qui viennent troquer contre de la cachaça ou des cotonnades bariolées leur maigre récolte de salsepareille,