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de parler avec autant de franchise qu’il le fit plus tard, lorsqu’il fut le maître. Tantôt il se présentait comme le successeur des Gracques et le défenseur des droits populaires ; tantôt il affectait de dire, pour rassurer tout le monde, que la république n’était pas intéressée dans le débat, et il réduisait la querelle à une lutte d’influence entre deux compétiteurs puissans. Pendant qu’il rassemblait ses légions dans les villes de la Haute-Italie et qu’il enrôlait les jeunes Cisalpins, il ne parlait que de son désir de conserver la paix publique ; à mesure que ses adversaires devenaient plus violens, il se faisait plus modéré, et jamais il n’avait proposé des conditions si acceptables que depuis qu’il était sûr que le sénat ne voulait pas les écouter. De l’autre côté au contraire, dans le camp où devaient se trouver les modérés et les sages, il n’y avait qu’emportement et maladresse. On traitait d’ennemis publics ceux qui témoignaient quelque répugnance pour la guerre civile ; on ne parlait que de proscrire et de confisquer, et l’exemple de Sylla était dans toutes les bouches. Il arrivait donc que, par une contradiction étrange, c’était dans le camp où l’on faisait profession de défendre la liberté qu’on réclamait avec le plus d’insistance des mesures exceptionnelles, et tandis que l’homme qui attendait tout de la guerre et dont l’armée était prête offrait la paix, ceux qui n’avaient pas un soldat sous les armes s’empressaient de la refuser. Ainsi des deux côtés les rôles étaient changés, et chacun paraissait parler et agir contrairement à ses intérêts ou à ses principes. Est-il surprenant qu’au milieu d’obscurités pareilles, et parmi tant de raisons d’hésiter, d’honnêtes gens, comme Sulpitius et Cicéron, dévoués à leur pays, mais plus faits pour le servir en des temps de calme que dans ces crises violentes, ne se soient pas décidés du premier coup ?

Cælius aussi hésitait ; mais ce n’était pas tout à fait pour les mêmes raisons que Cicéron ou Sulpitius. Tandis qu’eux se demandaient avec anxiété où était le droit, Cælius cherchait seulement où était la force. C’est ce qu’il avouait lui-même avec une franchise singulière. « Dans les dissensions intestines, écrivait-il à Cicéron, aussi longtemps qu’on lutte par les moyens légaux et sans avoir recours aux armes, on doit s’attacher au parti le plus honnête ; mais quand on en vient à la guerre, il faut se tourner vers les plus forts et regarder, le parti le plus sûr comme le meilleur. » Du moment qu’il se contentait de comparer les forces des deux rivaux, son choix devenait plus facile ; pour se décider, il suffisait d’ouvrir les yeux. On voyait d’un côté onze légions, soutenues par des auxiliaires éprouvés et commandées par le plus grand général de la république, parmi lesquelles trois, composées de vétérans qui avaient fait la guerre des Gaules, étaient échelonnées sur les frontières et prêtes à entrer en campagne au premier signal ; de l’autre, peu ou