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à une histoire qui devait être vraie au fond, qui l’était tout au moins par certaines descriptions locales, par le cri de la nature révoltée, par l’accent d’une sincérité intime mêlée d’exagération. On s’est demandé qui pouvait avoir imaginé ou coordonné cette histoire, et il n’a point été difficile de voir au premier coup d’œil que le véritable auteur ne pouvait être un laïque, qu’un prêtre seul, un prêtre à demi affranchi et froissé, avait pu inspirer ou écrire ces pages pleines de détails que l’imagination ne peut ni deviner ni créer. Le nom n’est nulle part ; l’empreinte du prêtre est partout : elle est dans le pli de la pensée et dans le langage, dans la violente fidélité de reproduction de certaines nuances, dans la connaissance familière des antagonismes, des habitudes ou des froissemens secrets du clergé, dans la sagacité à saisir les points faibles et dans la hardiesse à les dévoiler, dans l’expression à la fois onctueuse et crue de certains mouvemens de passion humaine, de certains tressaillemens de la nature. J’ajoute que ce prêtre, à son ressentiment contre les ordres religieux envahissans et même contre l’épiscopat, est évidemment de ce qu’on peut appeler la basse église, et qu’il doit être du midi de la France où se passe et s’accomplit son drame.

On s’est demandé enfin ce qui pouvait faire l’importance de cette mystérieuse conception, et on s’est dit que roman, histoire ou pamphlet, ce livre était peut-être un symptôme, qu’il était le fruit d’une situation violente où, tandis que les opinions extrêmes dominent en haut, il se remue vaguement et obscurément dans le clergé inférieur des pensées, des aspirations qui, sans aller jusqu’à la protestation ou à une velléité d’émancipation, ne ressemblent pas moins à une profonde et progressive transformation morale. Si une critique épiscopale n’eût point si rudement évoqué le Maudit dans le sénat, on ne se fût rien demandé peut-être ; on n’eût rien cherché, on n’eût point interrogé, et c’est ainsi que ce livre, tombé d’une main inconnue, jeté comme une énigme dans la mêlée contemporaine, a été mieux servi sans doute par cette tentative d’exécution qu’il ne l’eût été par le silence. Je ne sais ce qui arrivera de lui : on lui a fait du moins un prologue retentissant.

Le malheur de ce Maudit, signalé comme un messager de scandale, ce n’est pas d’être irréligieux et immoral parce qu’il agite les questions les plus délicates et les plus sérieuses, ou qu’il les laisse entrevoir au courant d’une fiction romanesque. Le malheur ; de ce livre, c’est de laisser une indéfinissable impression d’incertitude et de malaise, c’est d’être un livre d’une inexpérience littéraire qui grossit ou allonge tout et d’une complexion morale équivoque. J’appelle de ce nom la nature même de la donnée, cette incursion