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ne la reconnaît pas, cette distinction. Ce sont là les idées modernes : la séparation de l’église et de l’état. Dans votre église, vous seriez le curé de la paroisse ; hors de là, vous seriez M. Julio de La Clavière, propriétaire, électeur, éligible !… Ces théories-là sont jugées aujourd’hui. L’épiscopat les repousse, il en a horreur. Mon cher monsieur le curé, le jour où vous êtes entré dans l’église, l’homme en vous a disparu… »

La parole de l’archevêque rencontre une invincible résistance, et voilà Julio entrant dans ce duel d’un procès en captation d’héritage contre les jésuites, au milieu d’une ville aux passions inflammables, aux partis violemment divisés. Il a pour second dans ce duel cet ami, abbé défroqué, cet Auguste Verdelon, qui est un avocat habile ; . mais, je vous en préviens, ce Verdelon est un personnage louche, quoique peut-être humainement vrai : c’est un de ces hommes qui n’ont de la fougue de la jeunesse que l’apparence, qui savent faire marcher ensemble les mouvemens du cœur et les calculs de l’ambition ou de l’intérêt, qui sont « très puissans sur eux-mêmes, » selon le mot de l’auteur, et commandent au besoin à leurs sentimens. Il aime Louise de La Clavière, il l’aime sincèrement peut-être, et aussi parce qu’elle représente pour lui une alliance avec une des plus vieilles familles de magistrature et une grande fortune, tandis que Louise s’est laissée aller à l’aimer avec le désintéressement le plus noble, et ne tient à la revendication de son héritage que pour avoir la possibilité de donner la fortune à son amant. « Pauvre frère, écrit-elle à Julio, je ne suis pas assez généreuse pour te dire : Jette-leur au visage cet or qu’ils ont tant convoité… » Tant que cet habile Verdelon croit au succès, il est plein de feu, d’activité et de tendresse : il y a pour lui chance de gloire d’abord, puis une belle et riche alliance en perspective. Le jour où le procès. est perdu devant le tribunal de première instance et où il ne reste plus qu’un appel d’un succès problématique, l’avocat se refroidit visiblement pour la sœur et pour le frère ; il se dégage peu à peu, et comme Julio persiste plus que jamais, comme il prépare lui-même un mémoire sur l’ordre des jésuites, la situation reste critique.

C’est le moment pour les bons pères de faire jouer de nouveaux. ressorts, de frapper un dernier coup, et il y a ici une figure qui n’est point certes une des moins originales : c’est la comtesse de ***, une femme au cœur froid et à la tête ardente, qui à quinze ans a été mariée à un vieillard titré et riche et n’a connu que les dégoûts du mariage. Restée veuve jeune encore, assez dégoûtée d’une première union pour ne pas tenter une seconde épreuve, vertueuse sans combat et pharisaïquement orgueilleuse d’une vertu que la froideur