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de réveiller ces questions qui, sous une forme ou sous l’autre, dans tous les pays, parmi les laïques ou dans le clergé, et quelquefois avec une intensité nouvelle, sont l’obsession de la conscience humaine. Depuis longtemps on ne parlera plus du Maudit, que ces questions existeront encore, passionneront et tourmenteront les âmes. Ce roman, pour moi, n’a d’autre valeur que d’être un témoignage criant venant mettre sur la voie de certaines choses pour disparaître lui-même dans la poussière qu’il soulève un moment. Le livre passe, le problème reste, et ce problème est celui de tous les jours, du monde actuel, celui qui consiste à concilier la foi religieuse avec les émancipations légitimes, à créer un ordre tel que l’église ne soit point une ennemie de l’indépendance de l’esprit, et que la raison indépendante, dans ses affranchissemens, dans ses revendications, ne soit point le bélier employé à ébranler la foi religieuse. Mille fois il se présentera encore, ce problème qui soulève les tempêtes de l’âme humaine, il a ses conditions. Surtout il faudrait bien se persuader que la société moderne, comme on l’a dit, n’est pas une tente sous laquelle on se repose dans le silence en remettant tout à une certaine force des choses. C’est un champ de bataille où se heurtent les opinions. Il faut agir, sans diminuer, il s’entend, la liberté d’autrui, pas plus d’un ordre puissant que des autres ; il faut agir efficacement par soi-même dans la liberté et par la liberté. Quand la paix viendra-t-elle ? Je n’en sais rien. Il n’y a de paix absolue que celle qu’invoque ce malheureux maudit en mourant, celle qu’un autre révolté enviait dans le cimetière de Worms : quiescunt ! Mais ce n’est plus la vie, et les sociétés n’ont pas le droit d’aspirer à ce repos. Ce qui est certain, c’est que la paix relative, la paix possible, ne viendra que par l’équité, par la bonne volonté, par le respect mutuel de tous les droits de la conscience, par l’équilibre de toutes les forces morales, de même que cette autre paix que les gouvernemens poursuivent, qui fuit toujours devant eux et qui leur échappe, ne viendra que par la justice entre les nations respectées dans leur indépendance et dans leur liberté.


CH. DE MAZADE.