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charmante justesse. L’oncle et la tante reçoivent des noms qui en font un second père et une seconde mère ; réciproquement le neveu et la nièce confondent leurs noms avec ceux des enfans où des petits-enfans. Enfin notons que dans la race aryenne l’unité de la famille a trouvé presque toujours son expression dans la transmission aux enfans du nom du père. L’importance reconnue du nom fait que, du sanscrit nâman au latin nomen, le même mot s’est conservé dans toutes les branches pour l’exprimer, et la racine en fait, comme du terme hébreu tout différent shem, le signe, ce à quoi l’on reconnaît l’individu.

Si de la famille nous passons à la communauté, la philologie comparée nous apprend que l’unité sociale s’est constituée en fait comme on l’avait supposé théoriquement, c’est-à-dire que l’agglomération de plusieurs familles, dans chacune desquelles le père était pasteur et roi, a formé une première communauté ou un clan ; plusieurs clans ont fait la tribu ; les tribus, à leur tour, un peuple gouverné par un roi chargé des intérêts de tous. La science philologique s’est donc prononcée en faveur du droit populaire contre le droit divin. Elle affirme que la souveraineté vient du peuple. Les mêmes mots qui signifiaient à l’origine lieu de réunion ou assemblée de famille sont devenus à la longue synonymes de tribunal, ou conseil de la communauté ; le viç primitif (vicus latin), après avoir désigné d’abord l’habitation, a indiqué successivement le hameau, le village et le clan. La phratrie grecque, la gens latine, le clann irlandais ne signifient pas autre chose au fond que la famille.

Des observations analogues sont suggérées par la formation de la tribu et du peuple. Il est certain que les anciens Aryas n’ont pas été un peuple centralisé dans le sens moderne : ils restèrent divisés en peuplades jalouses de leur indépendance intérieure. Tel est encore aujourd’hui l’état social des populations habitant le même pays ; tel est encore, ajouterons-nous, l’état politique préféré par notre race partout où, les pouvoirs antérieurs étant détruits, elle est livrée à ses propres instincts. La Suisse, les anciens Pays-Bas, les États-Unis, les colonies anglaises en sont la preuve, et au fond tel est toujours l’état politique de l’Europe prise en grand, partagée comme elle l’est entre une vingtaine de nationalités, grandes et petites, de puissance inégale, mais généralement d’accord, depuis plusieurs siècles, pour s’opposer à la prépondérance absolue d’une d’entre elles. C’est Rome qui nous a inoculé le goût contraire. D’autre part, nos ancêtres ont eu à un haut degré le sentiment de leur communauté de race. Ils se sont sentis une même nation[1], c’est-à-dire

  1. De gnatio vieux latin. La racine sanscrite est gan (naissance et naître).