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intuitive dans ces représentations spontanées des phénomènes intellectuels et moraux !

Il ne paraît pas que l’écriture ait été connue ou familière aux Aryens avant leur dispersion. De là une foule de coutumes symboliques dont le sens, aujourd’hui perdu là même où elles se sont conservées, s’éclaire d’un jour tout nouveau quand on en suit à la piste les origines anté-historiques. Un sillon tracé autour du champ a constitué la limite primitive : cela se voit dans l’identité des racines qui ont fourni les mots exprimant le sillon où la limite. La transmission de la propriété par voie d’échange, ou de vente, ou d’héritage, était entourée de formes solennelles. La poignée demain ou le frappement dans la main du vendeur, ce que l’on appelait en vieux français férir la paume, remonte à la plus haute antiquité comme signe de marché conclu. Une coutume très ancienne aussi dans notre race et très caractéristique est celle de rompre le fétu. Elle provient originairement du fait très simple que l’un des deux brins d’un fétu brisé est le seul qui puisse coïncider avec l’autre lorsqu’on les rapproche. De là une véritable quittance entre les mains de l’acquéreur. Le mot latin stipula, dont nous avons fait stipulation, signifié un fétu. Cette opération, encore aujourd’hui usitée chez les montagnards de l’Inde et dans l’île de Mann, varie quant à l’application, et tandis qu’en certains endroits elle signifiait le contrat, la promesse, l’achat, dans la vieille France elle représenta l’abandon, le renoncement au droit, et devint ainsi le symbole d’une séparation d’amoureux, comme le montre si bien Molière avec sa Marinette et son Gros-René. On voit également se dessiner déjà dans les ombres de cette antiquité opaque certaines formes de procédure juridique. En particulier, les ordalies ou jugemens de Dieu, presque universels dans l’espèce humaine, ont revêtu chez les anciens Aryas des formes spéciales dont l’antiquité reculée est attestée par leur présence simultanée chez les Indiens, les Perses, les Scandinaves et les Germains.

La philologie comparée nous permet ainsi de remonter jusqu’à l’origine des actes les plus fréquens de la vie. ordinaire. Par exemple, elle nous apprend que la première orientation a été basée sur la distinction de la droite et de la gauche. Les hommes des anciens temps, adorant le soleil à son lever, ont appelé régulièrement l’orient ce qui est devant, l’occident ce qui est derrière, le sud la droite, et le nord la gauche. Le sanscrit, le celte et l’irlandais sont les témoins encore accessibles de cette manière primitive de désigner les points cardinaux. La lune a dû servir, plus tôt que le soleil, à mesurer le temps, ses mouvemens étant plus faciles à calculer et à prédire. Aussi voit-on le mois lunaire préexister partout au mois