César toutefois n’était pas seulement venu pour détruire un gouvernement, il voulait en fonder un autre, et il n’ignorait pas que sur la spoliation et la banqueroute on ne peut rien établir de solide. Après s’être servi sans remords du programme de la démocratie pour renverser la république, il comprit qu’un rôle nouveau commençait pour lui. Le jour où il fut maître de Rome, son instinct d’homme d’état et son intérêt de souverain en firent un conservateur. En même temps qu’il tendait la main aux hommes modérés des partis anciens, il n’avait pas de scrupule à rentrer souvent dans les traditions de l’ancien régime.
Il est certain que l’œuvre de César, à la prendre dans son ensemble, est loin d’être celle d’un révolutionnaire. Beaucoup de ses lois ont été louées par Cicéron après les ides de mars ; c’est assez dire qu’elles n’étaient pas conformes aux vœux et aux espérances de la démocratie. Il envoya quatre-vingt mille citoyens pauvres dans des colonies, mais au-delà de la mer, en Afrique et en Grèce. Il ne pouvait pas songer à abolir tout à fait les libéralités que l’état faisait au peuple de Rome, mais il les restreignit. Au lieu de trois cent vingt mille citoyens qui y prenaient part sous la république, il n’en admit plus que cent cinquante mille ; il ordonna que ce nombre ne serait pas dépassé et que tous les ans le préteur remplacerait ceux de ces privilégiés de la misère qui seraient morts dans l’année. Loin de rien changer au régime prohibitif qui était en vigueur sous la république, il établit des droits d’entrée sur les marchandises étrangères. Il publia une loi somptuaire, beaucoup plus sévère que les précédentes, qui réglait en détail la façon dont il fallait s’habiller et se nourrir, et la fit exécuter avec une rigueur tyrannique. Les marchés étaient gardés militairement, de peur qu’on y vendît rien de ce que la loi défendait d’acheter, et on autorisait les soldats à pénétrer dans les maisons et à saisir jusque sur les tables les comestibles prohibés. La surveillance fut si bien faite qu’il ne resta plus de ressource aux gourmets que d’inventer des assaisonnemens merveilleux pour les légumes les plus simples : il paraît qu’ils y avaient très bien réussi, car Cicéron raconte qu’au festin augural de Lentulus, quoiqu’on s’en fût tenu au régime de la loi, il trouva moyen de se rendre malade. « Moi, dit-il, qui résistais aux huîtres et aux murènes, je me suis laissé prendre par des cardons et des mauves ! » Ces mesures, qui gênaient le commerce et l’industrie, qui par conséquent nuisaient aux intérêts du peuple, César les avait empruntées aux traditions des gouvernemens aristocratiques. Elles ne pouvaient donc pas être populaires ; mais ce qui l’était encore moins, c’étaient les restrictions qu’il apporta au droit de réunion. Ce droit, auquel la démocratie tenait plus qu’à tout autre, avait été respecté