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elle a eu le bonheur de ne le prendre ni juif, ni musulman, mais chrétien, c’est-à-dire confirmant et sanctifiant sa tendance innée au progrès infini.

L’Europe, en connaissant mieux ses véritables origines, ne comprendra-t-elle pas enfin ses véritables intérêts ? Ne verra-t-elle pas que ces antipathies internationales au nom desquelles une politique égoïste réussit encore à entraver l’émancipation des peuples et la constitution d’un ordre de choses assurant sa place au soleil à chaque nationalité, à chaque Européen sa liberté, ne sont que des préjugés injustifiables au point de vue historique aussi bien qu’au point de vue chrétien ? Quoi qu’il en coûte à notre amour-propre et tout en restant fiers de la puissance et de la gloire de notre pays, ne sommes-nous pas forcés de nous avouer que l’Angleterre, avec son rude climat, sa population moindre, ses mœurs moins expansives et moins sociables, est notre rivale sur le vieux continent, et dans le reste du monde nous efface presque partout ? Pourquoi ? Il y en a bien des raisons, hélas ! mais en vérité elles se résument toutes dans celle-ci, que, parmi les grands peuples modernes, le peuple anglais est celui qui a maintenu et développé avec le plus de persévérance et d’énergie l’aptitude merveilleuse de notre race au progrès par la liberté. Hoc signo vincemus. C’est là en effet, c’est dans cette noble tendance, dans l’existence distincte et le libre jeu des forces vives que consiste la puissance réelle des sociétés européennes, et il faut en finir avec ce mauvais rêve d’empire romain qui fait exception dans notre histoire, et qui, s’il se réalisait par malheur, soit à Paris, soit ailleurs, aboutirait à créer une Chine occidentale immobile, pétrifiée, comme celle d’Orient. Que notre race, garde sa fierté originelle ! Sa tradition, c’est l’indépendance, c’est la liberté. Ce n’est pas une théorie en l’air qui l’affirme, c’est sa langue, un monument plus ancien et plus durable, en dépit des variations de la surface, que ceux de Babylone, et de Memphis. Nous sommes tous les fils des Aryas, et nos pères, en quittant, il y a plus de quatre mille ans, la patrie primitive, ont emporté nos titres de noblesse et nous les ont légués. Dans ce progrès continu que depuis lors ils n’ont cessé de faire à la surface de la terre se trouve comme une prédiction, comme un symbole du progrès, bien plus glorieux encore, que nous avons à faire dans le monde de l’esprit. C’est spirituellement aussi qu’il nous faut être dignes de la vieille bénédiction : Dieu fasse que Japhet s’élargisse !


ALBERT REVILLE.