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Et la rose indolente peureuse d’être belle
Mêle aux pourpres du jour les nacres de la nuit,
Et son amant ailé, brillant et beau comme elle,
Se penche sur son cœur, dit : Je t’aime, et s’enfuit.

Et la brise mutine au travers de l’espace
Sème en pollen doré les baisers du glaïeul,
Le vieux mur rajeuni fleurit quand elle passe
Comme, en voyant passer l’enfant, sourit l’aïeul.

Et tu pleurais, pensant que l’homme seul promène,
Chargé de son néant et de ses vanités,
Le haillon de Nessus de la misère humaine
À travers cette vie et ses sérénités.

Ah ! bénis bien plutôt la souffrance féconde.
Dieu, qui nous la donna, nous a voulu hausser.
C’est la douleur, ami, qui sauvera le monde :
La nature doit vivre et l’homme doit penser.

EDOUARD PAILLERON.

TRISTESSE.


Le temps de ma jeunesse a passé. — De mes ans
La source chaque jour plus lentement s’épanche,
Et toujours plus épaisse en ses flots plus pesans
Croît l’herbe qui s’enroule au roseau qui se penche.

De grands ronds paresseux, qu’irise de son fard
Un soleil moins brûlant dans un azur plus pâle,
Étirent mollement leurs volutes d’opale
Sur cette onde assoupie où dort le nénufar.

Bientôt,… demain, cette eau qui faiblement murmure
N’aura plus une plainte et n’aura plus un pli,
Et sur le flot stagnant, comme une moisissure,
S’étendront tristement le silence et l’oubli.

EDOUARD PAILLERON.