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REVUE. — CHRONIQUE.

parties d’un grand ensemble manquent de vérité ? Quant au finale du troisième acte, je ne le défendrai pas, parce qu’on ne trouverait dans aucun opéra connu une scène dramatique aussi longue, aussi compliquée et d’un effet plus puissant.

L’exécution de ce bel ouvrage, que le public a revu avec étonnement, est assez soignée. Mlle Battu, qui est Française et même Parisienne, a longtemps figuré parmi les artistes du Théâtre-Italien, où elle s’est acquis une réputation méritée d’habile cantatrice. Sa voix était alors un petit soprano aigu dont le timbre blanchâtre était peu sympathique. Engagée à l’Opéra pour remplir le rôle charmant d’Anaï, elle y est fort bien et comme cantatrice et comme comédienne. Elle s’est fait justement applaudir dans le duo avec Aménophis et dans l’air très difficile du quatrième acte. M. Faure chante avec goût le rôle de Pharaon, et M. Obin représente avec assez de noblesse la grande figure du prophète hébreu. Le spectacle est beau et digne de l’œuvre du maître. Depuis quelques mois, l’orchestre de l’Opéra est conduit par un homme intelligent, M. George Hainl, qui a longtemps dirigé l’orchestre du Grand-Théâtre de Lyon. Ancien élève du Conservatoire, où il a obtenu un prix de violon, je crois, M. Hainl est allé chercher fortune en province, et c’est dans cette grande ville de Lyon que M. Hainl s’est acquis la réputation qui lui a valu l’honneur d’être appelé à Paris par M. l’administrateur de l’Opéra. M. Hainl possède plusieurs des qualités nécessaires à un chef qui a sous sa main quatre-vingts ou cent musiciens, plus le personnel nombreux de chanteurs, de choristes et de danseurs qui concourent à l’exécution d’un grand ouvrage comme Robert le Diable, les Huguenots, la Juive, etc. Il est vigilant, son oreille exercée entend les moindres détails, son regard est vif, et ses indications toujours justes. Depuis son entrée à l’Opéra, M. Hainl a été nommé chef d’orchestre de la Société des Concerts en remplacement de M. Tilmant, à qui une santé chancelante ne permettait plus de remplir ces fonctions. M. Hainl a pris le commandement de cette corporation d’artistes d’élite au premier concert de l’abonnement, et son succès a été complet. Le public a accueilli M. Hainl avec des applaudissemens bruyans, comme s’il avait été un virtuose.

Mlle Adelina Patti nous est revenue avec la grâce, la facilité heureuse, l’entrain, la voix éclatante et flexible, qualités précieuses qu’elle nous a fait admirer l’année dernière. Elle s’est produite tout récemment dans son meilleur rôle, qui est l’Amina de la Sonnambula, délicieuse bucolique que les critiques tudesques doivent traiter d’enfantillage. En effet, ce divin soupir de Bellini ne peut être apprécié par les ergoteurs qui admirent les syllogismes de Wagner et compagnie. Mlle Patti a été ravissante, surtout dans la scène finale, dont elle a chanté la prière avec une onction qui semble annoncer une heureuse évolution dans le talent de la brillante virtuose. Sa voix aussi a pris un peu plus de force dans les notes supérieures : mais Mlle Patti n’a point encore acquis la tenue et le style qui lui manquent, et