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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/815

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LA BAGUE D’ARGENT.

jouets. L’enfant y courut ; mais Julien regarda Lucy. Lucette, que vouliez-vous encore ? N’était-ce pas assez que votre jeune âme innocente eût si longtemps tenu sa place entre ces deux cames prêtes à s’unir, éperdues toutes deux de désir et de crainte ? Lucy prit sa fille par la main, Julien la guida jusqu’à son appartement. Il s’arrêta sur le seuil.

Elle remit Lucette à une servante qui attendait. Elle se trouva seule alors dans cette chambre qui allait être la sienne, seule, libre pour la dernière fois, maîtresse encore un moment de ses sensations, de ses pensées, de ses regards. Julien n’était plus là pour les épier comme tout à l’heure au salon. Ah ! cette chambre était bien sévère ! Une lampe de bronze brûlait sur la cheminée, des ombres vaguement menaçantes semblaient courir sur le tapis. Non, non, là rien ne ressemblait à l’ancien logis. Les meubles étaient recouverts d’une étoffe sombre ; une alcôve fermée avait remplacé le beau lit d’ange.

Elle le voyait donc tel qu’il serait jusqu’à la fm, car ne devait-il pas durer autant que sa vie, ce bonheur maintenant légitime et qui se plaisait pourtant à s’entourer de voiles parce qu’il était pur ? Non, il ne l’effrayait point. Elle chassa en souriant cette première impression, qui n’avait été qu’une surprise. Elle sonda son cœur encore une fois, et reconnut bien qu’il avait été fait pour ces félicités souvent austères et toujours sérieuses dont les devoirs sont si légers pourtant au prix de ce qu’il donne. Non, elle n’avait pas même besoin de prier Dieu de la garder des pensées qui tentent, elle était trop sûre de sa force. Non, elle ne redoutait point de revoir jamais sous ses yeux les images du passé, car le présent seul était beau, le présent seul était vrai. C’était le passé qui n’avait été que visions funestes et mensonge. — Mais que faisait donc Julien ? Ce qu’il faisait ! Il était là, dans la chambre voisine, songeant et luttant. Un domestique à ce moment entra et lui dit qu’un étranger était là qui demandait à le voir. — Qui donc pouvait avoir le courage de venir le troubler en un pareil jour ? Qui que ce fût, il donna ordre de l’introduire. — Que me veux-tu ? s’écria-t-il en reconnaissant Horace Raison.

— Prends et lis, lui dit Horace. Je remplis ici un devoir pénible ; mais c’est un devoir.

Ce qu’il lui présentait, c’était un de ces recueils à la mode, un journal de courses, de chasse, de club et de salon, une de ces gazettes de high lîfe dont la plus noble partie de la nation qui produisit La Bruyère et Montesquieu fait aujourd’hui ses délices. Voici ce que Julien y lut :

« Qui donc a dit que nos financiers n’avaient ni cœur ni esprit ?