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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/830

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veuille donc qu’on n’ait point rapporté la bague ! Où Jeanne eût-elle pris ces vingt francs ? Elle était si pauvre ! Pour cette fois, Horace Raison répondit. Au moins cette dernière réflexion avait-elle eu la puissance de lui rendre son sourire. — A quelle date remonte ton journal ? demanda-t-il à Julien.

— A trois ans et quelques mois.

— Oh ! oh ! fit Horace, tu avais donc quitté Jeanne depuis quatre années déjà ; elle avait eu le temps de devenir moins pauvre. Mais ils arrivaient à la grande porte. En mettant le pied dans le cimetière, Julien .s’arrêta. Il n’avait marché jusque-là qu’avec effort, appuyé au bras d’Horace, qui le soutenait. H se redressa subitement. Ses yeux enflammés embrassaient et dévoraient tout ce qu’un instant auparavant ils craignaient de voir. — Voilà, dit-il en indiquant à Horace la partie neuve du cimetière, voilà où ils étaient, ces beaux ombrages sous lesquels elle venait me rejoindre. J’y suis revenu depuis avec elle. Comme elle avait l’air de regretter les arbres abattus et le souvenir dispersé ! Elle est passée maîtresse en mensonges. Oh ! ne crains rien. A présent je suis fort, et je veux d’abord que nous cherchions là.

Horace n’essaya point de l’entraîner de l’autre côté du cimetière, sachant bien en effet que c’était là qu’il fallait chercher. Dès lors il n’y eut plus un mot d’échangé entre eux. Ils descendirent la grande avenue et gagnèrent par un prompt détour la pente qui menait autrefois au vieux jardin. Horace ne faisait plus que suivre son compagnon, car c’était celui-ci désormais qui le conduisait. Julien choisit un sentier qui s’élevait directement vers le sommet, entre les tombes. Oh ! c’était bien à elle, non à Jeanne, qu’il pensait à cette heure. Quant aux autres morts, il n’y songeait guère. Il battait d’un pas pesant ce sol qui le brûlait ; il avait hâte d’atteindre le point où jadis était le monticule, l’endroit fatal où était le berceau. Arrivé là...

Il n’avait pas oublié la grille de fer et la sépulture inachevée qui en occupaient la place. Deux mois auparavant, quand Lucy avait eu l’idée du pèlerinage, la pierre qui devait couvrir cette tombe reposait tout debout contre la grille ; on n’y voyait encore aucun nom, et Lucy regrettait de ne point savoir qui était venu dormir dans ce lieu sacré où ils avaient aimé... La pierre était posée maintenant, le nom y était gravé. Julien lut : u Jeanne Aubrée, » et plus bas : « Priez pour elle. » Alors il ferma les yeux. — Je ne croyais point trouver cela si vite ! murmura-t-il.

Horace Raison était demeuré à quelques pas en arrière. Il pensait qu’il avait choisi lui-même la place de cette tombe, et qu’il ne l’avait choisie que trop belle. Il s’approcha vivement de son ami, le