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intimes, elles conservent inaltéré le reflet des figures et des scènes contemporaines avec l’émotion du moment ; je m’efforcerai, par de simples citations au milieu de mon récit, de rendre ce reflet sans le troubler. J’ai d’ailleurs contrôlé les témoignages que m’offraient les archives d’Upsal et de Stockholm par ceux de plusieurs autres archives, en Danemark et en Allemagne, et surtout par une lecture assidue de nos précieux portefeuilles du ministère des affaires étrangères à Paris.


I

Liée à la France par d’anciens traités, la Suède se trouvait, à la veille du règne de Gustave III, en proie à une profonde anarchie qui la rendait inutile à ses alliés, et qui suscitait à elle-même ainsi qu’à tout le Nord, de la part de ses ambitieux voisins, un danger redoutable. L’anarchie suédoise, dont les suites se sont fait sentir pendant tout le règne de Gustave III, avait des causes lointaines qu’on découvre aisément. Les agitations politiques ou civiles du XVIIIe siècle ont été en grande partie préparées dans l’âge précédent par l’abus que la royauté a fait de son ancienne alliance avec les classes moyennes contre une aristocratie privilégiée. La royauté moderne, alors même qu’elle s’intitulait absolue et de droit divin, avait toujours été, même à son insu, l’organe d’un sentiment d’unité et d’égalité démocratiques. Son tort fut de s’attarder dans un premier triomphe, qui lui paraissait définitif parce qu’elle en recueillait un grand éclat, et de ne pas achever l’œuvre en vue de laquelle l’alliance avait été utilement formée. Cette œuvre était des plus vastes, il est vrai ; il fallait, après avoir élevé les classes moyennes, constituer un organisme intelligent et équitable qui élevât aussi les classes inférieures. À en juger par les premiers siècles de son histoire et par ses origines, la royauté devait trouver en elle-même des forces suffisantes, si elle n’avait laissé se réunir à nouveau les ennemis qu’elle avait une fois vaincus et s’écarter les amis qu’elle s’était d’abord conciliés : conduite imprudente et coupable dont le résultat fut une dispersion de toutes les forces en présence de terribles dangers. Telle fut la marche du développement politique de la France, et les pays du nord de l’Europe, qu’une tradition diplomatique unissait depuis le XVIe siècle à nos destinées, plus rapprochés de nous encore par une certaine communauté de race et de génie, subirent les mêmes vicissitudes intérieures.

Pendant que chez nous l’œuvre de Richelieu et de Mazarin s’achevait entre les mains de Louis XIV, le Danemark en 1660 et la Suède en 1680 livraient à Frédéric III et à Charles XI une puissance